On entre Chez Pradel si l’on habite à deux pas ou si un résident du quartier vous estime assez pour vous confier l’adresse. Par chance, une précieuse amie de la rue Championnet a vendu la mèche de ce bistrot parisien populaire comme on n’en fait plus. Voilà dix ans que Karim Hakim, chef et propriétaire des lieux, serre les pinces de ses clients comme on salue la famille : « Pose ton casque sur le comptoir, je t’ai mis une table de deux au fond », à un motard arrivé trempé pour déjeuner. Des hommes en bras de chemise jouent des coudes à table avec une retraitée apprêtée ayant sa place attitrée, quand un couple de femmes, la vingtaine, se serrent à leur côté. Il n’a pas fallu cinq minutes pour que ces inconnus trinquent à leur rencontre.
L’ardoise, qui varie chaque jour, délie les langues à coups de grands classiques, comme le hareng et ses pommes à l’huile servies tièdes et enrobées d’une vinaigrette douce aux graines de moutarde ou la bavette à l’échalote, star du jour. Saisie plein feu sur le gril, légèrement croûtée çà et là, elle arrive fumante sur les tablées, grassement filante à la découpe, fondante à chaque bouchée. La tendreté s’explique en partie par le choix de la race Angus, réputée pour son persillage.
Ici, pas de sauce pesante mais des échalotes glissées sur le dessus, quasi confites, que le chef a pris soin de laisser tranquillement fondre au coin du feu. Les frites maison qui l’escortent n’ont ni l’allure américaine de fins bâtons dorés, ni la courbe des demi-lunes (trop) épaisses des brasseries, mais bien la forme régulière de celles qui sont passées au coupe-frite ménager. Plongées deux fois dans un bain d’huile, elles sont sorties à la minute pour une croustillance imparable.
« La plus belle reconnaissance »
Fondé en 1897 par une famille auvergnate qui lui donnera son nom, ce restaurant de coin de rue vit une seconde jeunesse depuis que Karim Hakim l’a investi. Après être passé en cuisine dans de grandes maisons parisiennes comme La Tour d’argent ou Le Pré Catelan, c’est dans le répertoire bistrotier qu’il s’épanouit aujourd’hui : « J’y ai fait mes armes, mais l’ambiance des brigades et l’ego des chefs me pesaient », raconte-t-il entre deux « bonne année ! » lancés à des clients. Des expériences, reconnaît-il, dont il a tiré la rigueur nécessaire pour s’attaquer aux recettes bistrotières, car, en cuisine, rien de plus compliqué que de faire simple.
Modèle du genre : son poulet fermier à la peau croustillante sous un jus de volaille maison que le chef fait réduire chaque jour. Les habitués, qui le surnomment « Coco », le saluent d’un bout à l’autre de la salle. Comment ne pas louer celui qui propose une formule entre 15 et 18 euros, entrée, plat et dessert, où rien n’est laissé au hasard ? « Mes parents tenaient un restaurant routier sur la nationale de Créteil à Versailles avant que l’autoroute arrive, explique-t-il, je tiens à garder ces prix pour le déjeuner. Il y a des ouvriers qui viennent ici très souvent, c’est la plus belle reconnaissance. »
Fort de son succès, Karim Hakim a ouvert il y a quatre ans une seconde adresse (Chez Pradel Bastille) dans le 11e arrondissement, que son associé fait tourner, mais c’est à peine si ses fidèles le savent tant ces derniers n’ont d’yeux que pour leur « Coco » de la rue Ordener.
Chez Pradel, 168, rue Ordener, Paris 18e. Bavette à l’échalote : 12,50 €. Formules du midi : entrée-plat à 15 euros, entrée-plat-dessert à 18 €. Réservation uniquement pour le service du soir. Tél. : 01-42-64-24-97.
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