Il est 7 heures du matin. Dans le village de Gairo Taquisara, dans l’arrière-pays de l’Ogliastra, l’une des provinces les moins peuplées de Sardaigne, le café Le Chioso vient d’ouvrir. Une tablée d’hommes âgés parlant le sarde a déjà pris place à l’intérieur, pendant qu’un jeune est scotché à la machine à sous. Personne n’est surpris quand un habitué descend de sa voiture en laissant tourner le moteur, commande un ristretto au comptoir, et repart aussi vite après avoir salué tout le monde.
Au premier abord, les regards sont froids. Mais c’est inversement proportionnel à l’hospitalité des habitants de cette contrée au cœur de l’île et de la montagne sarde, le Gennargentu. Une terre sauvage et colorée, d’élevage et de viticulture, empreinte de coutumes et de croyances. « Tout se passe au bar, la démocratie sarde s’invente ici, s’amuse le forestier, Christian Mascia, 52 ans. Tu vas voir la vraie Sardaigne ! »
Gairo Taquisara est son village, il est né et a grandi ici. Il en connaît les moindres pierres, recoins et forêts. Autrefois, plusieurs lignes desservaient la gare, à l’époque des mines et de l’exploitation du bois pour la construction du chemin de fer italien – à la fin du XIXe siècle. « A partir des années 1960, le centre de la Sardaigne s’est petit à petit dépeuplé, les gens sont partis vivre sur la côte ou sur le continent. Aujourd’hui, on attend l’été pour voir du monde », confie celui qui travaille pour l’agence Forestas, l’équivalent de l’Office national des forêts. L’une de ses missions est d’entretenir et de marquer les tronçons passant près de chez lui du sentier italien, un itinéraire de 7 000 kilomètres, qui sillonne toute la péninsule, y compris la Sicile et la Sardaigne.
C’est sur la portion sarde du sentier italien, dans la région de l’Ogliastra, un amphithéâtre minéral donnant sur la mer, que nous cheminons depuis trois jours. Le tracé, récemment revu par le Club alpin italien et par l’agence Forestas, parcourt 600 kilomètres du nord au sud et compte une trentaine d’étapes. Notre choix se porte sur l’intérieur des terres, et plus particulièrement sur ce rocher de légende, repère et symbole pour les Sardes, que l’on devine au loin : la Perda’e Liana.
L’un des plus extraordinaires tacchis (« talon » en italien) d’Ogliastra, dont l’image la plus fidèle est bien celle d’un talon aiguille. Composées de falaises calcaires, ces formations rocheuses évoquent tantôt des tours érigées vers le ciel, tantôt des silhouettes mystérieuses. La Perda’e Liana a été déclarée monument naturel en 1993. Autant dire qu’il n’est nul besoin de s’aventurer dans le Far West pour retrouver un monument au milieu d’un désert rocheux rappelant le décor d’un bon vieux western. Nous y sommes.
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