De « s’en jeter un derrière la cravate » à être « soûl comme un Polonais » : la folle inventivité du vocabulaire de l’ivresse

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Pour nommer son ivresse, exprimer sa joie de boire ou, au contraire, regretter son excès de boisson, le vocabulaire ne manque pas. Le nombre de métaphores, comparaisons et mots d’argot que les Français ont su déployer pour qualifier leur relation à l’alcool en dit d’ailleurs long sur l’importance de ce dernier dans notre culture. En voici quelques exemples, au goût parfois douteux, à manier, donc, avec autant de modération que l’objet qu’ils désignent.

Cela commence par l’idée même : boire un « canon ». Si personne ne s’interroge sur l’origine de boire un « pot » (ou de se le faire payer, tant qu’à faire), il est moins courant de savoir qu’un canon désigne ici une ancienne unité de mesure, correspondant à un sixième de pinte. Le terme de « canon » serait apparu dès le XVIe siècle, désignant alors le tube qui sert à en mesurer le volume, mais il s’est surtout répandu à partir du XIXe siècle. Il s’est alors enrichi d’autres sens, qui vinrent compléter l’explication d’origine. Comme l’idée que trinquer, si le geste est fait avec suffisamment de vigueur, produit un bruit qui évoque, lointainement, celui du canon, ou parce que l’on va boire le contenu rapidement, aussi vite qu’un boulet de canon. Par extension, boire un « canon soviétique » qualifia un verre de vin rouge, avant d’être remplacé par un « ballon » de rouge, dès lors qu’il fut servi dans un verre à la forme similaire.

Les amateurs d’argot du milieu du XXe siècle préféreront glisser qu’ils aimeraient « s’en jeter un derrière la cravate », métaphore très compréhensible si tant est que la cravate est à sa juste place, c’est-à-dire nouée autour du gosier, couvrant l’œsophage et l’estomac. Cette dernière camouflant le trajet de l’alcool, l’expression peut aussi suggérer une consommation discrète.

L’horloge du buveur

Mais à quelle heure ? On peut compter sur l’horloge du buveur pour donner le tempo, en se fiant aux rimes pauvres qui font la beauté des conversations de bistrot. Visons l’apéritif : 19 h 10 ? « L’heure du pastis. » Si on l’a ratée, on peut s’y remettre cinq minutes plus tard avec le classique « Sept heures et quart, l’heure du Ricard » ! A 19 h 20, évidemment, c’est l’heure du vin, à moins que vous ne veniez d’une région où l’on prononce le « t » final (ce qui est mon cas), et alors 19 h 20 sera « l’heure de la pinte ». Une rime régulièrement entendue dans les bars pratiquant l’« happy hour », où la pinte est au prix du demi. Justement, sept heures et demie, l’happy hour en moins, c’est « l’heure du demi », cela va de soi. Passé la seconde moitié du cadran, on reprend les mêmes. Qui a dit que le Français n’était pas organisé ? Et à 20 heures, « on remet la petite sœur », expression qui dérive de « fillette », désignant une demi-bouteille (37,5 cl).

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Source du contenu: www.lemonde.fr

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