Des lignes pures, des matériaux simples et une âme fifties : les créations de Pierre Guariche (1926-1995) sonnent si juste plus d’un demi-siècle plus tard que la marque Cinna, du groupe Roset, a choisi d’en relancer la fabrication. Avec dix-huit modèles phares livrés à partir de septembre – chaise, table, canapé, bahut, fauteuil, bibliothèque –, c’est la plus importante collection d’un seul designer jamais rééditée par l’« entreprise du patrimoine vivant » installée depuis 1860 au cœur du Bugey (Ain).
Figure de la modernité d’après-guerre, Pierre Guariche se distingue par son esthétique fonctionnelle et ses techniques novatrices. Ce natif de Bois-Colombes (Hauts-de-Seine) a de qui tenir : diplômé de l’Ecole nationale supérieure des arts décoratifs en 1949, il a été l’élève de l’artiste décorateur René Gabriel, puis l’assistant, durant deux ans, de Marcel Gascoin, décorateur spécialisé dans le meuble de série.
Dès 1951, il ouvre sa propre agence dans le 14e arrondissement de Paris, et se fait connaître par ses luminaires. D’élégants éclairages indirects, fruits d’un jeu de réflecteurs sur de graciles mâts de métal, dotés d’ingénieux dispositifs de rotules, balanciers et autres contrepoids pour être orientables (fabriqués à l’origine par Disderot, aujourd’hui réédités par Sammode). Son mobilier, distribué à l’époque par la prestigieuse galerie parisienne MAI, ou différentes enseignes comme Airborne ou Steiner, était tombé dans l’oubli.
Ses créations sont pourtant remarquables. A commencer par ce siège Papyrus (1951), parmi les premiers modèles en contreplaqué moulé commercialisés en France, suivi de l’iconique chaise Tonneau (1953), dont l’assise en contreplaqué est astucieusement pliée, ce qui lui donne sa rigidité. Dix ans plus tard, Pierre Guariche innove encore, avec la chaise longue Vallée blanche (1963), comme en suspension sur son piètement central. « Une typologie alors appelée “relax”, que Yolande Amic, dans Le Mobilier français 1945-1964, situe entre la “machine à se reposer” de Le Corbusier-Perriand-Jeanneret et la chaise longue d’Olivier Mourgue figurant dans 2001 : l’odyssée de l’espace, de Stanley Kubrick », précise Constance Rubini, directrice du MADD-Bordeaux.
A l’époque de ses premières innovations, Pierre Guariche n’a pas 30 ans. Avec Pierre Paulin ou Alain Richard, il fait partie des « jeunes loups » d’après-guerre, comme les qualifie alors la rédactrice en chef de la revue Maison française : soit une nouvelle génération de ce qu’on n’appelle pas encore des « designers », soucieuse d’offrir à ses contemporains du mobilier de son temps, pratique, esthétique et économique. Formés à l’Ecole des arts décoratifs ou à Camondo, ils se heurtent à l’immobilisme des industriels de l’ameublement. « En France, où l’industrie du meuble est encore artisanale, rares sont les entreprises qui peuvent s’offrir un bureau d’études avec des dessinateurs compétents. Ainsi fabrique-t-on ce qu’on est sûr de vendre, c’est-à-dire ce que tout le monde connaît. Aucun progrès, aucune évolution n’est possible dans ces conditions », constate amèrement le créateur, cité dans Pierre Guariche, de Delphine Jacob, Lionel Blaisse et Aurélien Jeauneau (Norma, 2020).
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