« Entre eux, couchée par terre, leur chienne malade, égarée au beau milieu de son conflit de loyauté qui ne sait où donner de la tête pour trouver des caresses de réconfort »

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A nouveau tous les quatre. Tous les cinq si on compte Diva, leur bullmastiff bringé qui, entre les lits superposés au milieu du wagon-couchette, halète tout ce qu’elle peut ; son haleine ahurissante, les douleurs abdominales, le cancer autocratique qui trace sa route aveugle dans son système lymphatique.

Rassemblés dans ce train qui file en direction de Gap, dans la cuvette, au pied de leurs merveilles de montagnes, à nouveau tous les quatre, les deux parents, les deux enfants, pour emmener leur chien, 7 ans, l’âge de leur fille, celui aussi de leur séparation, chez Y., le médecin-vétérinaire-énergéticien-rebouteux de la famille, pour une consultation de la dernière chance. Ce chien ne peut pas mourir. Ce serait la disparition, le deuil de trop. Pour les enfants, pour eux, pour le peu d’espoir qui reste. Pas maintenant.

Cela fait cinq ou six ans qu’ils ne se sont pas retrouvés tous réunis, la famille, l’ex-famille, au même endroit plus de dix minutes, ces dix minutes quinzomadaires – ressenti : dix heures – pour se passer le relais des enfants, lâchant l’un et l’autre un « Salut, ça va ? » glacial, désengagé, sans jamais se regarder, sans jamais attendre de réponse.

Et aujourd’hui, maintenant que ça arrive, plus forte que le malaise vague et retentissant déclenché à l’idée de devoir dormir sous le même toit que lui, si circonstanciel et mobile soit-il, la joie imposée devant le visage clair et enchanté de leurs enfants de pouvoir passer cette nuit dans le train avec leurs deux parents séparés, pour aller à la montagne, comme avant.

Le langage occulte des enfants

Ils ont laissé l’étage supérieur des couchettes aux enfants, pour la sensation d’être grand, en haut, dans leur cabane pour la nuit. Et ils sont allongés, elle et lui, mère et père, au-dessus du drap SNCF pas tout à fait neuf, d’une drôle de matière qui crisse un peu sous les doigts, pas vraiment en pyjama, n’ayant pas osé, en sweat-shirt et survêt’, le nez dans leurs téléphones.

Au-dessus d’eux, leurs enfants parlent leur langage occulte et éclatent de leur grand rire dont eux seuls connaissent la source secrète. Et elle le sait, les parents, elle et lui, se disent qu’heureusement qu’ils sont là, merveilleuse preuve organique et alchimiste, pour leur rappeler qu’un jour ils ont su s’aimer et se regarder.

Entre eux, couchée par terre, leur chienne malade, chérie, égarée au beau milieu de son conflit de loyauté qui ne sait où donner de la tête pour trouver des caresses de réconfort, entre elle et lui, ses deux maîtres. Elle et lui, une main chacun tombée du lit qui erre et se croise sans jamais se toucher sur le poil zébré de Diva.

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Source du contenu: www.lemonde.fr

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