Une mésange vient juste de se poser sur la statue d’un ange de pierre amputé d’une aile. L’oiseau va et vient depuis le matin. Dans le creux laissé par cette aile perdue il y a des années certainement, la mésange a eu l’idée de construire son nid. Et cela recommence chaque printemps. Benoît Gallot, conservateur du cimetière du Père-Lachaise, dans le 20e arrondissement de Paris, immortalise avec son appareil photo cette scène incongrue qui illustre à elle seule ce qu’il répète constamment : « Il n’y a pas que la mort à peupler les cimetières », en particulier celui dont il s’occupe dans la Ville Lumière, le plus grand situé intra-muros, le plus touristique aussi, avec plus de 3 millions de visiteurs chaque année.
Lors du premier confinement, au printemps 2020, les photos de Benoît Gallot intéressent soudainement les médias. Des renardeaux au Père-Lachaise ? Tout le monde s’extasie alors devant cet exemple d’une nature reprenant ses droits au cœur d’une capitale engourdie par les restrictions liées au Covid-19. Benoît Gallot a depuis vendu 20 000 exemplaires de son livre La Vie secrète d’un cimetière (Les Arènes, 2022), qui sortira en édition de poche début mars.
Presque quatre ans après le début de l’épidémie, les renards sont toujours présents dans le cimetière. Benoît Gallot fait défiler sur son compte Instagram – ouvert en 2017 – les dernières images les montrant sagement assoupis sur les tombes. « Le réensauvagement du Père-Lachaise est une histoire bien plus longue », ajoute-t-il avec un sourire amusé.
Le conservateur parcourt à grands pas les 43 hectares du cimetière qu’il connaît par cœur. Un imperméable bleu sombre ceinture ce jour-là sa silhouette élancée. Au rond-point Casimir-Périer, Nounours, une des vedettes locales, prend la pause devant la tombe du médecin et politicien Raspail (1794-1878), réjouissant les touristes attendris. Ce gros matou au poil roux, bien nourri par les « dames aux chats » du cimetière, vit là paisiblement parmi une quinzaine de congénères. Des caisses à chat traînent ici ou là dans de petites chapelles funéraires oubliées. Dans les années 1970-1980, on dénombrait plus de deux cents chats dans le cimetière. Au-delà des animaux totems que sont les renards et les chats, cent quarante espèces animales sauvages y sont répertoriées.
Au petit matin ou en soirée, le conservateur aime déambuler en solitaire à proximité de la stèle du Dragon, une jeune victime de l’épopée napoléonienne dont la mère inconsolable avait fait sculpter le visage en 1809. Dans ce secteur sont regroupées les sépultures de grandes figures de l’Empire, qui forment ainsi le carré des Maréchaux. Peu de tombes connues des touristes y figurent. Délaissé par les promeneurs, c’est le bon endroit pour observer les oiseaux.
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