J’ai longtemps cherché des refuges. J’ai grandi à Paris, dans une famille de chercheurs – ma mère au CNRS, mon père pionnier des sciences cognitives – qui se sont séparés quand j’avais 11 ans. Cela n’a pas été simple pour mes sœurs et moi, le divorce a duré longtemps et nous étions livrées à nous-mêmes. J’ai passé beaucoup de temps ailleurs, notamment chez mes grands-parents.
Les vacances d’été, c’était en Bretagne, avec la famille maternelle, dix oncles et tantes et des myriades de cousins. La cuisine occupait une place centrale : mon arrière-grand-mère avait tenu un restaurant, ma grand-mère faisait à manger pour un régiment tous les jours. Quand nous arrivions de Paris, le premier repas, c’était toujours des langoustines fraîches avec du pain et du beurre salé, et un far breton. Ce dessert est resté pour moi symbole d’hospitalité et de générosité, je le prépare toujours quand j’ai envie de faire plaisir.
Du côté de mon père, c’était la bourgeoisie angevine, on fêtait Noël chaque année avec des repas gargantuesques et beaucoup de vins de la Loire, que je goûtais en finissant les verres. Le lieu où je me suis surtout construite, c’était la Tuilerie, une maison dans les Cévennes où s’étaient installées deux anciennes collègues de mon père, Jacqueline et Claude. Elles élevaient des chèvres et des poules, cultivaient leur potager et vivaient presque en autarcie. J’ai passé beaucoup de temps avec elles et appris énormément à leurs côtés : à nager, à cuisiner, à jardiner… On écoutait de l’opéra en trayant les chèvres, je menais le troupeau dans les montagnes, je fabriquais du fromage et des tartes aux fruits.
Notre carte nous ressemble, à mon mari et moi
J’ai arrêté les études avant le bac. Après une école de maquillage, j’ai passé tous les permis (voiture, moto, bus, camion) et obtenu un CAP de transports en commun. J’avais moins de 30 ans, je conduisais des groupes d’enfants et des fanfares, j’ai fait de la restauration sur des tournages de cinéma, puis j’ai travaillé dans un bougnat du 11e arrondissement. C’est là que j’ai vraiment appris à cuisiner, j’habitais à l’étage, j’ouvrais les portes le matin. Ça a été mon foyer pendant quatre ans.
Peu après, j’ai eu envie d’avoir « ma » maison. J’ai cherché dans le 14e, où j’avais des attaches familiales. On m’a parlé d’un bistrot à vendre rue Boulard. J’ai visité, il y avait un petit salon, une fenêtre sur cour dans la cuisine, c’était une vraie maison, j’ai su que c’était là. Jacqueline m’a prêté de l’argent, mon père s’est porté garant pour la banque. En 1998, j’ai ouvert ma maison et l’ai nommée « A mi-chemin », car elle est au carrefour de mes parcours, elle fait le lien entre toutes ces origines mélangées.
Un jour, Nordine Labiadh est arrivé comme plongeur, puis il s’est mis en cuisine. Nous sommes tombés amoureux, il n’avait pas de papiers, un an après son arrivée nous étions mariés. Il faisait de la cuisine bourgeoise française, il a peu à peu compris qu’il devait y ajouter sa touche, en lien avec ses racines tunisiennes, et il a finalement décidé, comme moi, de s’accepter. Aujourd’hui, notre carte nous ressemble, à mi-chemin : il y a des couscous de toutes sortes, de la chorba, des chakchoukas, mais aussi des escargots, des rognons, des millefeuilles, des profiteroles et, parfois, un bon far breton.
A mi-chemin, 31, rue Boulard, Paris 14e.
restaurant-amichemin.fr
Source du contenu: www.lemonde.fr