L’ossmaliyé de Karim Haïdar : « Modernisé juste ce qu’il faut »

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« En 1999, j’étais juriste à Paris, j’ai eu envie de prendre une année sabbatique. On peut dire qu’elle s’est éternisée puisque j’en ai profité pour ouvrir un restaurant, et que vingt-cinq ans plus tard, je suis toujours aux fourneaux. Je n’ai jamais réussi à me souvenir pourquoi, à l’époque, j’ai choisi d’ouvrir un restaurant libanais : certes, c’était la cuisine de mon enfance, mais je n’avais jamais appris à la faire et il me manquait les techniques de base.

Parfois j’appelais ma mère pour lui demander : “Comment tu faisais ce plat qui était si bon ?” Mais généralement, j’allais au marché, je prenais des trucs un peu au hasard en me disant : “Ça et ça ensemble, ça va faire libanais.” Je cuisinais ce qui me passait par la tête et ça marchait plutôt bien : les clients disaient que c’était moderne. On ne peut pas dire que je l’aie vraiment fait exprès, mais ma proposition était différente des autres libanais qui, à l’époque, donnaient l’impression d’avoir tous photocopié la même carte… A partir de ce moment-là, j’ai passé mon temps à essayer d’aller à contre-courant.

C’est vrai pour l’ossmaliyé, un dessert que tous les Libanais connaissent, traditionnellement servi dans un grand plat où il est coupé en parts. La recette, ce sont des cheveux d’ange croustillants posés sur de l’ashta, notre “crème de lait” composée des peaux de lait chauffé, assemblées puis égouttées. En général, on ajoute un sirop de fleur d’oranger, des pistaches et des pétales de rose confits.

« Correspondre aux attentes d’aujourd’hui »

Dans sa première version que j’ai servie, à Londres, au début des années 2000, j’ai arrêté le format à partager qui s’effondrait à la découpe, pour faire des portions individuelles. Pourquoi ne pas essayer de faire joli ? Je me suis aussi attaqué à la structure : normalement, l’ossmaliyé est monté comme un gâteau avec des couches d’ashta et de vermicelles, ce qui le rend assez dense. J’ai simplifié en mettant les vermicelles en vrac sur une généreuse portion d’ashta. C’était déjà plus léger ! Avec le temps, je me suis rendu compte qu’il n’était pas nécessaire de mettre du gras sur les vermicelles au moment de les passer au four, ni de sucrer l’ashta.

Quand j’ai rouvert un resto à Paris, j’ai essayé de remplacer le sirop de fleur d’oranger, qu’on trouve dans presque tous les desserts lactés libanais. La solution m’est apparue un jour de novembre, et, depuis, j’adore ce mois. C’est la saison des kakis. J’en avais un bien mûr à la maison, je l’ai mis sur le mélange ashta-vermicelles à la place du sirop, et là… miracle absolu ! On aurait dit que c’était fait pour aller ensemble. Les clients en étaient fous, au point de m’appeler en octobre pour me rappeler de le remettre à la carte.

Karim Haïdar, au restaurant Sama, Paris 11ᵉ, le 7 février 2024.

Car la saison du kaki est courte. En ce moment, je le remplace avec du butternut confit, c’est bien aussi. Et au printemps, il y aura des merveilleuses fraises Dream, que je trouve chez un producteur des Yvelines ; la première fois que j’y ai goûté, j’ai eu l’impression de comprendre d’où venait l’arôme du bonbon à la fraise.

Les clients disent toujours “tout ça !” quand ils voient arriver l’ossmaliyé, et en fait, ils finissent toujours le bol. C’est un dessert qui a toute sa place chez Sama, un restaurant de cuisine libanaise traditionnelle où on modernise juste ce qu’il faut pour correspondre aux attentes d’aujourd’hui, pour que des jeunes de 20 ou 30 ans aient envie de venir, et de revenir. »

Ossmaliyé, 9 euros. Sama, 5, rue Guillaume-Bertrand, Paris XIᵉ.
https://samabistro.com

La dégustation

Volumineux, le dessert paraît très généreux, mais il se mange sans résistance. Très beau travail sur les textures : les vermicelles croustillants, l’ashta moelleuse, les pistaches croquantes, le butternut fondant.

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Source du contenu: www.lemonde.fr

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