Milan Fashion Week : l’exercice périlleux des premiers défilés

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Milan peine à faire émerger des jeunes designers, mais sa fashion week n’est pas exempte de nouveautés car les maisons historiques ont besoin de se renouveler. Pour cette saison féminine automne-hiver 2024-2025 qui s’est déroulée du 20 au 26 février, Tod’s, Blumarine et Moschino ont présenté la première collection de leur directeur artistique respectif, fraîchement nommé. Tandis que Sabato De Sarno chez Gucci et Peter Hawkings chez Tom Ford ont passé l’étape tout aussi cruciale de la deuxième collection.

Tod’s reçoit dans un entrepôt de tramways, où le podium suit la ligne des rails. Un lieu symbolique pour « définir une esthétique sobre mais aussi dynamique, explique Matteo Tamburini. Tod’s s’adresse à des gens en mouvement, qui vont au travail, voyagent ». Nommé en décembre, le nouveau designer, qui travaillait auparavant chez Bottega Veneta, n’a eu que très peu de temps pour préparer cette collection ; le résultat est d’autant plus remarquable. En jouant sur les proportions (pull ample et pantalon ajusté), les matières (col roulé en laine et jupe en métal), il donne de la singularité à des silhouettes portables, optimisées par son sens du détail. Une chemise est portée sous une autre chemise, les pantalons ont de grands revers, les mailles sont si fines qu’on peut mettre un cardigan par-dessus un gilet par-dessus un sous-pull… « On commence de manière humble. Disons que c’est une première étape pour construire le futur », analyse Matteo Tamburini.

Son prédécesseur chez Tod’s, Walter Chiapponi, a rejoint en novembre 2023 Blumarine. Cette nomination semblait annoncer un virage esthétique pour la marque fondée en 1977, qui s’était illustrée ces dernières saisons par son esthétique sexy trash inspirée des années 2000. Chiapponi infuse en effet romantisme et poésie dans un vestiaire qui ne renonce pas aux imprimés panthère ni aux couleurs tape-à-l’œil. Entre les longues robes fleuries et les microshorts en dentelle, Chiapponi ne veut pas choisir son camp, ce qui rend l’ensemble un peu décousu, mais pas dénué de charme.

Chez Moschino, Adrian Appiolaza, qui a passé les dix dernières années chez Loewe, a été nommé le 30 janvier, après le décès brutal de son prédécesseur, Davide Renne, en novembre 2023. « Avec le temps imparti, j’ai essayé d’être pragmatique : je suis un collectionneur d’archives, je me suis donc plongé dans celles [du fondateur] Franco Moschino. J’ai cherché à mettre au goût du jour les aspects les plus identifiables de son travail, comme sa théâtralité », déclare le designer dont la collection réussit à concilier fantaisie et portabilité. De fines bretelles de nuisette brodées sur une robe du soir noire, un élégant haut drapé aux couleurs de l’Italie, un porte-jarretelles imprimé en trompe-l’œil sur une jupe en soie ivoire… autant d’éléments décalés pour un vestiaire où l’on trouve aussi une belle chemise bleue ou un pantalon de costume bien taillé.

Voile transparent et manteau d’officier

L’exercice de la deuxième collection peut s’avérer encore plus ardu que celui de la première : le designer a eu le temps de peaufiner son message et ne bénéficie plus de l’indulgence des débuts. Chez Tom Ford, Peter Hawkings a fait le choix de ranimer encore une fois le glamour sexy des années 2000, quand la maison était au summum de la gloire. Les femmes ont les jambes allongées par leurs talons aiguilles, les épaules des vestes sont carrées, la taille fine, les décolletés plongeants. Une combinaison bustier en bandelettes de cuir moule le corps, une longue robe col roulé en voile transparent et irisé ne cache rien. Quand ils n’explorent pas la veine sensuelle, les vêtements expriment une forme d’autorité opulente, avec des manteaux d’officier aux boutons dorés ou des tailleurs stricts en cuir verni façon crocodile. La proposition de Peter Hawkings a le mérite d’être bien réalisée et de trancher avec la mode actuelle plutôt dominée par le luxe discret, mais pour durer, il lui faudra sans doute faire preuve de plus d’originalité.

Sabato De Sarno aussi creuse son sillon. Sa première collection femme chez Gucci en septembre 2023 tranchait de manière radicale avec le romantisme baroque de son prédécesseur, Alessandro Michele : il avait proposé un vestiaire simple dans les formes (jeans, manteau noir, sweat gris…), épuré à l’extrême. Cette saison, rebelote. Deux ou trois éléments familiers suffisent à composer une silhouette : manteau boule vert absinthe et bottes bordeaux ; veste boutonnée en cuir verni beige et escarpins à plate-forme. Robe en dentelle fleurie noire et cuissardes assorties. Des robes et des manteaux, pas de pantalon. Très peu de motifs, des silhouettes monochromes ou bicolores.

« Regarder les choses d’un point de vue qui n’est pas celui qu’on attend, ne pas suivre les règles : c’est ma manière de rêver sans me presser, de stratifier mes aspirations comme s’il s’agissait des briques d’une maison », détaille Sabato De Sarno dans sa note d’intention. A force de réitérer son amour de la simplicité, celui-ci devient sa signature, et pas seulement un expédient pour vendre plus de vêtements. Gucci, qui était à l’origine une marque de maroquinerie, a-t-elle vocation à représenter une avant-garde vestimentaire ? Cela ne semble pas être l’avis de Sabato De Sarno : « Mes rêves, comme ma mode, sont en prise avec la réalité. Parce que je ne cherche pas un autre monde dans lequel vivre, mais plutôt des moyens de vivre dans ce monde. »

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Source du contenu: www.lemonde.fr

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