Dans la haute Engadine, la griffe transalpine de Remo Ruffini a fait défiler pour la première fois sa collection Moncler Grenoble, dédiée à l’univers du ski. Cent trente-cinq silhouettes à 2 000 mètres d’altitude, en pleine nuit et en pleine forêt. Une performance au sommet.
Si la doudoune Moncler n’est pas aussi populaire que le Frigidaire, dans son domaine, elle s’est comme lui taillé la part du lion. Noms propres devenus si communs. Signes des temps. De celui du succès insolent du marché du luxe que la griffe tricolore passée sous pavillon italien truste désormais. De celui qu’il aura suffi à Remo Ruffini pour entrer dans la cour des (très) grands : vingt ans. Deux décennies pour bâtir un avenir à ce qui n’était à l’origine qu’une boîte de vêtements chauds et techniques fondée par un certain René Ramillon – même initiales que l’actuel dirigeant, tiens ! -, près de Grenoble, en 1952 (à Monestier-de-Clermont exactement, d’où son nom, contracté, Moncler). Elle crée des doudounes depuis le milieu des années 1950 (non pas pour des vacanciers mais des ouvriers, qui les enfilent au-dessus de leurs salopettes). Habille l’équipe française de ski alpin aux JO de Grenoble en 1968. Équipe des expéditions légendaires au Népal ou en Alaska. Fournit de ses créations les plus innovantes une douzaine d’écoles de ski parmi les meilleures au monde (en France, en Suisse, au Japon).
Mais les affaires manquent de souffle. Lorsque, en 2003, le self-made-man qui se souvient « avoir toujours aimé passionnément cette marque dédiée à la montagne », rachète l’entreprise, il se lance « non pas en visionnaire, raconte-t-il, mais en bâtisseur pragmatique, rigoureusement attaché à son histoire et à ses racines, en (se) concentrant sur la création .» À commencer par ce monoproduit de duvet d’oie qu’il va ériger en référence mondiale. En icône de mode, rien de moins, et en style de vie, l’air de rien. Séduisant les fashionistas. Décontractant des générations d’hommes et de femmes trop heureux de tomber la veste en restant protégés mais plus cool et stylés. Et le PDG, qui n’ôtera plus sa deuxième casquette de directeur artistique de la marque, d’opérer dans la foulée, sous l’appellation Moncler Genius, une montée en gamme spectaculaire – à grand renfort de collaborations pionnières et pointues sur la doudoune, telles celles de Pharrell Williams (inédite alors), Jay-Z, JW Anderson, Rick Owens ou Alicia Keys. Un succès d’estime. Et un carton en termes d’image, même si 80 % du chiffre d’affaires de la marque se fait toujours grâce au prêt-à-porter urbain, Moncler Collections.
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Lancée en 2010 pour renouer avec ses origines iséroises, la ligne Moncler Grenoble s’adresse quant à elle aux vrais amateurs de glisse et de mode « hors-pistes » au chic plus intemporel – un porte-parole du groupe assure que « 90 % des gens en interne vous diront que c’est celle qu’ils préfèrent ». Elle frôlerait les 10 % du chiffre d’affaires global, un pourcentage que le groupe ambitionne de faire progresser, la dynamique « Grenoble », incarnée cette saison par des athlètes de haut niveau, étant clairement dans l’air du temps. « Le goût du sport au grand air connaît un essor spectaculaire, aux États-Unis et en Asie, surtout », observe le PDG et premier actionnaire de Moncler. Qui sait combien la vie post-Covid a revalorisé les activités « outdoor » et leurs vertus. Et ne s’étonne guère de voir, après Chanel, Louis Vuitton ou Fendi, de nouveaux venus tels que Balenciaga, Brunello Cucinelli ou Loro Piana miser plus que jamais sur le développement du « ski wear ». Confiant, Ruffini entend rappeler sa légitimité singulière sur le secteur : « C’est en montagne que tout a commencé. Moncler Grenoble représente nos racines, notre ADN, c’est un mélange authentique de haute performance et de style. En quête permanente de technicité et de créativité, de forme et de fonctionnalité, nous franchissons aujourd’hui une nouvelle étape afin de façonner l’avenir de notre héritage. » Hautement stratégique à ce titre, le premier défilé de la ligne, samedi dernier, dans les Alpes suisses, a valeur de démonstration.
Devant 250 invités, qu’il aime qualifier de « communauté », composée de presse internationale, de proches et d’amis (Matteo Renzi, Anne Hathaway, Renzo Rosso, JR, Lorenzo Bertelli, Ermenegildo Zegna, Kate Moss ou le réalisateur à l’éternel cigarillo Paolo Sorrentino…), l’homme, qui est ici dans son élément, n’a pas lésiné sur les moyens de marquer les esprits. « Le temps de “Grenoble” est venu », déclare-t-il. À 2 000 mètres d’altitude, il fait nuit noire et les températures sont bigrement négatives. Dans la neige et parmi les hauts sapins entourant le lodge de Clavadatsch, on sert du saké tiède et du vin chaud aux observateurs transformés en créatures lunaires, emballés de capes en doudoune blanche (Moncler, of course), avant de prendre place tout au long du chemin givré et sinueux qu’emprunteront 135 mannequins (!). Un set à l’étrangeté renforcée par le silence respecté de la vie nocturne de la forêt – le Casta Diva de la Callas qui ouvre le show n’étant audible que dans l’intimité des casques audio que chacun est invité à porter.
Il y a longtemps que j’ai eu cette idée de faire défiler le “ski wear” dans ce décor naturel de Saint-Moritz qui m’est familier depuis l’enfance
Remo Ruffini, PDG de Moncler
Dans une brume glaciale coupée de flashes de laser conférant au décor une profondeur quasi irréelle, le top-modèle italien Vittoria Ceretti descend de la montagne en tête, snowboard sous le bras, en gilet de shearling crème, pantalon et anorak en Gore-Tex et Polartec blanc zippés de noir. Elle ouvre une longue succession de garçons et de filles en combinaisons high-tech dans tous les tons de beige, accessoirisés de casques, moufles, moonboots, gourdes, sacs à dos, sacoches pour chaussures de ski et autres casquettes molletonnées. Les doudounes intrecciato tricolores, bi-matière ou à motif arlequin rouge carmin, noir et ivoire brillant réactualisent le sujet avec virtuosité. À défaut de pouvoir mesurer l’extravagante technicité des propositions pour sportifs de l’extrême qui se succèdent, c’est la désirabilité de la garde-robe « après-ski » alternant avec des looks pensés pour les slaloms les plus stylés qui séduit sur-le-champ. Des pantalons de flanelle déperlante gris souris donnent un chic fou aux silhouettes carénées par des tops en patchworks somptueux de laine vierge et d’alpaga aux coupes géométriques en intarsia, ou des blousons matelassés aux motifs jacquard stylisés au point de tricot Aran. Les robes-pulls à col cheminée châtaigne ou les jupes droites zippées sur leggings côtelés et méga-bottes en fourrure synthétique à poils longs se dévoilent sous d’impeccables manteaux de tweed doublé. La série de vestes en shearling et cols roulés beurre frais en laine épaisse torsadée sur pantalon de velours cognac ou mini marron glacé achève de convaincre. Dans un silence de glace théâtral, le finale se fige dans la forêt comme envoûtée.
Calme et distingué, le milliardaire italien dont le business tutoie lui aussi les sommets (l’entreprise, qui compte 6 000 employés, 280 boutiques dans 70 pays et dont on estime que les ventes se sont élevées à 2,8 milliards d’euros en 2023, avec un taux de marge proche de 29 %, pèse aujourd’hui plus lourd à la Bourse de Milan qu’une fierté nationale comme Prada) pose un regard assuré sur cet assaut de « grande bellezza » : « Il y a longtemps que j’ai eu cette idée de faire défiler le “ski wear” dans ce décor naturel de Saint-Moritz qui m’est familier depuis l’enfance », confie-t-il. Natif de Côme, il a toujours skié ici les week-ends avec ses parents comme tant de Milanais (à deux heures de route) dont c’est la destination idéale. Il y possède un chalet, proche des pistes de Suvretta et du restaurant d’altitude Paradiso, où il avait invité tout son monde à déjeuner quelques heures avant l’événement. « Saint-Moritz, c’est aussi le lieu où Moncler avait ouvert son premier magasin au monde, avant mon rachat », rappelant, avec satisfaction, que « tout ceci a du sens ».
Et dans les hauteurs huppées de la ville où le shopping de luxe est une activité existentielle, le premier flagship Moncler Grenoble, entièrement dédié, donc, à cet univers de montagne, a opportunément ouvert ses portes en décembre dernier. Sombres et sobres comme une forêt noire, ces 300 mètres carrés confiés au studio Küchel Architects sont une invitation à venir sans valise (ou un rêve de consolation pour ceux qui n’auraient pas retrouvé la leur à l’aéroport, voire ceux dont les bagages ne tenaient pas dans le jet…) : l’offre, mixte et habilement segmentée, fabriquée en Europe, traçable et désormais exempte de fourrure, couvre, dans des volumes à perdre la tête (sans équivalent ailleurs), tout ce qu’il est possible de désirer dans un tel contexte. L’arrivée des modèles présentés sous le ciel étoilé de Saint-Moritz, pour l’automne-hiver 2024-2025, promet le moment venu de rendre les choix de cette clientèle plus cornéliens encore.
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