La manufacture suisse relance son « bracelet-montre » entièrement forgé dans le métal précieux, jadis créé pour la jet-set.
C’est une époque disparue, faite d’insouciance, d’élégance extravertie, de champagne, de smokings, de robes, de soirées… et de polo. Celle d’une jet-set brillante et cultivée formée de capitaines d’industrie, de millionnaires et autres stars du show-business qui, avec l’essor des avions de ligne dans les années 1960, voyage en tribu de Palm Beach à Gstaad et Monaco… Ces happy few, Yves Piaget, arrière-petit-fils du fondateur, Georges-Édouard Piaget, les connaît bien, les croisant dans ses périples, au gré des loisirs des uns, des vacances des autres. À tel point que l’on finira par parler d’une « Piaget Society », dont les membres privilégiés profitent de la vie autant que leur réussite le permet. « Yves Piaget a été directeur marketing avant de prendre la direction de la marque. Il voyageait beaucoup, notamment aux USA, où il rencontrait les clients, explique Jean-Bernard Forot, directeur du patrimoine. Là-bas, il se rend compte que le luxe américain n’est pas le même qu’en Europe, que les clients ont une façon bien plus décontractée de consommer les produits de luxe. C’est ce que l’on appellera le “casual chic”. Le bien-être, le sport, font également partie des nouveaux comportements de cette élite. »
Dans les années 1970, la manufacture suisse, qui est passée après-guerre de la production de calibres à la création de garde-temps et de bijoux, est considérée comme le leader des montres ultra-plates pour hommes et femmes. En 1976, alors que le secteur fait face à l’invasion du quartz japonais, Piaget sait négocier ce virage périlleux, et met au point le premier mouvement ultra-plat à quartz, le 7P, intégré alors à différentes montres de la maison. En 1979, il fait notamment battre le cœur du nouveau modèle maison, la Polo. Une montre forgée dans 125 grammes d’or massif ! « Une réponse à nos clients qui aiment faire de plus en plus de sport et veulent être exquis, porter des montres habillées, même quand il pratique leur discipline, expliquait alors Yves Piaget. Nous avons donc créé cette ligne sport étanche et résistante aux chocs. »
Cette montre en or, fièrement élitiste, est présentée à son lancement comme la plus chère du monde, sur les conseils avisés de l’agent américain de la marque, Gedalio Grinberg. C’est également lui qui obtiendra que, pour la première fois, la maison baptise sa création. Un nom qui fait écho aux compétitions sponsorisées par la marque depuis 1976. « Jusque-là, aucune n’avait de nom, juste un numéro de référence et un numéro de bracelet, précise Jean-Bernard Forot. L’idée de cette montre “casual chic” clairement destinée au marché américain est celle d’Yves, qui, après un voyage aux États-Unis, va convaincre son père (Valentin Piaget, NDLR) et son oncle (Gérald Piaget). Il dira même qu’il s’agit d’un bracelet-montre et non d’une montre-bracelet. »
Le succès de ce garde-temps sera immédiat, habillant le poignet d’Ursula Andress lors de la Piaget World Cup de polo en 1983, qui deviendra son ambassadrice de fait – et de charme. Andy Warhol, Sammy Davis Jr, Roger Moore et Björn Borg vont contribuer également à faire briller tant la maison Piaget que cette Polo, dont le bracelet a été si habilement travaillé qu’il semble avoir été sculpté dans un seul bloc d’or. Au cours des années, la maison décline le modèle dans de nombreuses variantes : ronde, carrée, sertie, or bicolore, heure seulement, quantième perpétuel… « La force de Piaget est aussi de l’avoir tout de suite proposée pour homme et femme, souligne Jean-Bernard Forot. Si la plupart des concurrents étaient centrés sur leurs clients masculins et le mouvement, chez Piaget, c’est le style qui faisait la quintessence des créations, à l’image des montres dessinées pour les femmes, comme la Gala, lancée en 1973. Avec la Polo, la marque inventera même des “offres couples”. »
Aujourd’hui, quarante-cinq ans après sa création, ce garde-temps historique renaît sous le nom de Piaget Polo 79. Et alors que nombreux sont ceux à proposer des montres en acier à prix d’or, celle-ci a été comme jadis entièrement forgée dans le métal précieux ! Son design reste aussi au plus près de l’originale, avec toutefois quelques mises à jour subtiles. « C’est la madeleine de Proust d’une période d’insouciance que nous relançons selon les standards d’aujourd’hui, en termes de taille, de mouvement, d’étanchéité, précise Benjamin Comar, président de Piaget. Cette montre au bracelet à godrons est, selon moi, dans l’horlogerie mixte, une des créations les plus iconiques de la maison. » Changement notable, le calibre à quartz cède cette fois la place à un calibre de manufacture ultra-plat 1200P1 à remontage automatique, que l’on peut admirer à travers le fond en verre d’un boîtier légèrement agrandi à 38 mm, toujours en or 18 carats. « On retrouve dans ce modèle une distinction disparue et la flamboyance de la Piaget Society, conclut Benjamin Comar. Cette Polo sait être voyante et élégante à la fois, en or jaune mais toujours très chic ! Notre technique en matière d’or est unique, tout comme notre savoir-faire du bracelet. Celui-ci, avec ses godrons, est absolument magnifique, il crée la fluidité de la pièce. C’est en quelque sorte notre IA à nous : l’intelligence artisanale des ateliers de Piaget… Cette maison, qui était au départ fabricant de mouvements, aurait pu ne faire que de l’horlogerie très classique. Au contraire, Yves comme Valentin Piaget ont voulu mettre leur expertise technique au service d’un design et d’une créativité forts. Que ce soit avec les manchettes, les cadrans en pierre dure, bien plus épais que ceux en métal de l’époque, ou en créant un mouvement de seulement 2 mm d’épaisseur dès 1957. »
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