Sue Nabi : « Une note ne procure pas les mêmes émotions selon les pays, ce qui démontre que le parfum est un phénomène culturel »

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En lançant une collection de quatorze fragrances de haute parfumerie baptisée Infiniment Coty Paris, Sue Nabi et Nicolas Vu renouvellent la traditionnelle pyramide olfactive pour mieux moduler l’évaporation et promettre une tenue jusqu’à 30 heures.

En 1904, François Coty imaginait La Rose Jacqueminot. Pour reproduire la senteur d’une fleur qui ne fane jamais, son mélange d’ingrédients naturels à la synthèse deviendra l’un des pionniers de la parfumerie moderne. Cent vingt ans plus tard, Sue Nabi et Nicolas Vu lancent Infiniment Coty Paris avec le désir secret de renouveler les codes de la parfumerie du XXIe siècle. Soit un sillage augmenté par la science et des packagings « artcyclables » – en plus d’être remplissables, les flacons s’empilent et s’assemblent afin de créer une œuvre d’art en partenariat avec la foire d’art contemporain africain 1-54.

Inspirées par leurs convictions et leurs racines, les quatorze fragrances du duo balaient les principales notes olfactives : de l’incontournable fleur d’oranger (Soleil d’Ikosim, lumineux souvenir d’une enfance à Alger) au chypre (le patchouli s’attendrit, ici, d’une rose liquoreuse) en passant par un encens un peu sombre et gothique qui nous replonge dans la New Wave des années 1980. Rencontre avec Sue Nabi, également directrice générale du groupe Coty, pour qui « Infiniment Coty Paris est la vitrine du groupe en termes d’innovation, d’écoresponsabilité et d’héritage culturel français ».

LE FIGARO. – Comment est né ce projet ?

Sue NABI. - Après mon départ de L’Oréal en 2013, nous avions, avec Nicolas Vu, le créateur de cette collection, deux idées : réinventer le soin, ce sera notre marque Orveda qui, à l’inverse de la plupart des cosmétiques, agit avec la peau et non pas contre, mais aussi créer des parfums de très grande tenue. À l’époque, nous trouvions la parfumerie de niche extrêmement créative mais parfois importable jusqu’au mal de tête. Nous avons donc lancé quelques idées en n’imposant aucune limite de prix, ni de concentration aux parfumeurs. Puis en 2020, lorsque j’ai pris la direction du groupe Coty, nous avons parlé de ces créations olfactives à son directeur général de l’époque, Peter Harf, qui nous a tout de suite dit : « Pourquoi ne pas les lancer sous le nom de Coty ? C’est un nom iconique de la parfumerie moderne et personne n’a encore osé imaginer ce que pourrait être la marque aujourd’hui. » Nous avions le concept, les jus mais aussi les flacons qu’avait conçus Nicolas… Et surtout une obsession : celles que les notes durent à l’infini, d’où le nom d’Infiniment Coty Paris.

Se lancer sur ce segment premium fait-il partie d’une stratégie de groupe ?

Aujourd’hui, la niche représente 10 % du marché mondial du parfum, soit 4 milliards de dollars et Coty y est sous-représenté. Le segment pèse à peine 1 % chez nous alors qu’il devrait plutôt être à 10 %. Nous avons donc un terrain de jeu gigantesque. Et puis, comme vous pouvez l’imaginer, c’est une catégorie surconsommée en Chine, ce qui nous permet de toucher en même temps de nouveaux marchés. En toile de fond de ce lancement, toutes nos marques premium stratégiques surperforment sur le marché français qui reste le plus difficile au monde pour les parfums. Grâce aux bons résultats de Chloé et Burberry dont le récent Goddess, Coty a réalisé une croissance impressionnante de 11,5 % en 2023 et fait partie des deux seuls groupes de beauté à gagner des parts de marché en France. On ne peut rêver mieux comme contexte pour tenter l’aventure Infiniment Coty Paris.

La fleur d’oranger de Soleil D’Ikosim, 230 € les 75 ml.
Coty

Vous annoncez une odeur qui persiste jusqu’à trente heures. Le sillage a-t-il toujours autant d’importance de nos jours ?

Qu’il soit très intime ou qu’il flotte encore dans l’air deux jours après, je pense qu’effectivement le sillage reste l’alpha et l’omega de la parfumerie. On peut attendre d’un parfum à 15 euros qu’il sente juste bon le frais et le propre, en revanche, s’il coûte 150 euros et qu’il ne sent rien, c’est du gâchis ! Lorsque j’étais chez Lancôme et que j’ai créé La Vie est Belle en 2012, qui reste aujourd’hui l’un des parfums les plus vendus au monde, j’avais l’obsession d’un vrai sillage gourmand. À l’époque, je faisais déjà le pari que l’industrie allait revenir à des jus puissants après le règne d’une parfumerie « lessivière » fabriquée pour le plus grand nombre, en mettant tout l’argent au service de la publicité.

Quelle est exactement cette nouvelle molécule qui permet d’amplifier la puissance du sillage ?

Nous ne voulions plus de la construction des notes en pyramide mais plutôt une sphère olfactive dans laquelle coexisteraient toutes les dimensions du parfum. Le département Recherche & Développement nous a rapidement présenté une molécule brevetée exclusive au groupe Coty étonnamment peu utilisée jusque-là. Pourtant, ce dérivé de sucre permet de capturer l’ensemble des notes pour les libérer au fur et à mesure. Vous obtenez donc une évaporation uniforme sans la distinction classique de tête, cœur, fond et un parfum qui se dévoile de manière quasi invariable du matin au soir. Ici, la science peut repousser les limites de la démarche artistique car si le parfumeur choisit, en accord avec les chimistes, des notes à forte affinité avec cette molécule, il peut en démultiplier la diffusion.

Vous utilisez aussi un nouvel alcool upcyclé pour une démarche encore plus durable, qu’en est-il ?

Il n’y a que quatre éléments dans le flacon : des parfums concentrés jusqu’à 20 %, notre fameuse molécule, de l’eau purifiée et un alcool obtenu grâce à la transformation, par biotech, de carbone industriel. S’il était déjà dans la formule de The Alchemist’s Garden de Gucci, c’est la première fois qu’une ligne entière y a recours. On ne se sert pas, ici, de la chimie qui produit beaucoup de carbone et on ne puise pas non plus dans la nature, que l’on préfère réserver aux cosmétiques. D’ici la fin 2024, l’objectif est que la majorité de nos tonnages de parfums intègre cet alcool « carbone recyclé ».

En reliant chaque composition à une émotion, vous avez eu recours, comme de plus en plus de marques, aux neurosciences. Est-ce la nouvelle marotte de l’industrie ?

Depuis que le parfum existe, il agit sur le moral, ce n’est pas un scoop ! Prenez, par exemple, les tout premiers encens dans les lieux de culte : ils permettaient, entre autres, de se concentrer et de rester dans un état mystique. Ce qui est nouveau, c’est que la science s’en mêle. Pour nos quatorze références, nos laboratoires ont travaillé avec différentes techniques de neurosciences qui mesurent les émotions générées par les odeurs : éveil, tendresse, joie, sérénité, séduction, estime de soi… C’est intéressant de voir que les résultats varient beaucoup selon les pays. La même note ne procure pas les mêmes émotions, ce qui démontre bien que le parfum est un phénomène culturel et cela offre une infinité de possibilités créatives.

Parfums, 230 € les 75 ml. À découvrir dans la boutique Infiniment Coty Paris, 5, rue des Blancs-Manteaux, Paris 4e et sur infinimentcoty.com

Source du contenu: www.lefigaro.fr

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