Né au Vietnam, il a dû quitter son pays à l’âge de cinq ans, après la prise de Saïgon (aujourd’hui Hô Chi Minh-Ville). Il grandit dans le nord de la France, et devient un professionnel de l’insertion. Aider les plus précaires grâce à l’activité économique est un fil rouge dans sa vie, qu’il suit inlassablement, même si sa vision du monde devient floue, à cause d’une maladie des yeux.
Dans les locaux de son association d’insertion, Synapse 3i, installée dans un quartier populaire d’Amiens, chaque personne qu’il rencontre dans les couloirs le salue chaleureusement et ajoute à son bonjour matinal, son prénom, pour que Jean-Pierre Motte puisse les identifier. À ceux que le quinquagénaire ne connait pas, il précise qu’il est malvoyant, « si je vous croise dans la rue, je ne vous verrai pas, ne le prenez pas mal ». Sa vision centrale est floue, et des taches noires envahissent son œil droit. « J’ai appris ma maladie, la rétinite pigmentaire, à 18 ans. Je n’y ai pas vraiment prêté attention, j’étais jeune, libre, je ne pensais qu’à m’amuser ».
La maladie progresse, surtout depuis 2016, mais il garde sa détermination, une valeur que lui a inculquée son père. « Et aussi le respect de la parole donnée, ça, c’est ce qui me vient de ma culture asiatique ». Jean-Pierre Motte est né en 1970 à Saïgon, aujourd’hui Hô Chi Minh-Ville, au Vietnam. Son grand-père lyonnais était « un grand bâtisseur » à Saïgon, des ponts, des routes, des châteaux d’eau. Il rencontre une Vietnamienne, avec qui il a 10 enfants, dont le père de Jean-Pierre Motte, qui se marie lui aussi avec une Vietnamienne. « J’ai vécu cinq ans à Saïgon. Quand la ville est tombée, nous avons dû partir du jour au lendemain, sinon on aurait pu nous tuer, car mon père travaillait pour les Américains ».
La famille s’exile en Picardie, là où habite une tante. Il ne parle alors que Vietnamien et suit des cours de français. L’école est difficile pour lui, il redouble deux classes, et il est « le seul asiatique, donc j’ai eu droit à des blagues racistes, sur le coup, j’étais vexé, mais je passais vite à autre chose ». Son père tient une station-service. Le soir après les cours, il fait le pompiste, dès ses 12 ans. Au fil des ans, il engrange les pourboires, et découvre les voyages, États-Unis, Mexique, Canada. « Cela m’a ouvert l’esprit, et encore aujourd’hui, j’aime l’échange culturel, dans mon association, il y a douze nationalités différentes ».
Une entreprise utile
Cette association, il l’a créée en 2009, avec l’objectif au départ de réduire la fracture numérique. Former les chômeurs longue durée, les handicapés, les plus précaires, aux outils informatiques. Puis, au fil des ans, les missions se sont élargies, avec des ateliers d’insertion, menuiserie, tapisserie, couture (qui travaille notamment pour des maisons de luxe), recyclerie. Et pour remettre le pied à l’étrier des personnes éloignées de l’emploi, s’ajoute un pôle social, où elles sont aidées sur le logement, les dossiers administratifs, etc.
Les salariés restent en moyenne un an, pour ensuite retrouver une formation ou un autre emploi. « L’insertion par l’activité économique est essentielle, je suis un entrepreneur social. L’ADN de l’entrepreneuriat, je l’ai reçu de mon grand-père et de mon père, j’y ajoute cette envie d’être utile à la société ». Fin 2019, la structure est en difficulté. Le premier confinement tombe, « j’ai alors l’idée de coudre des masques, on s’est retroussé les manches, et c’est ce qui nous a sauvé financièrement, on en a vendu des centaines de milliers. Le tribunal de commerce a parlé de redressement spectaculaire ».
Les émeutes urbaines réduisent son travail en cendre
Mais en juin dernier, second coup dur. Ce qu’il avait construit est réduit en cendre, lors des émeutes urbaines, suite à la mort de Nahel, tué par un policier. « Huit personnes cagoulées ont mis le feu. Des salariés me sont tombés dans les bras, désespérés. Voir des mecs de 1,95 m pleurer toutes les larmes de leur corps, ça reste gravé ». La lumière médiatique est faite sur son association, « les gens se sont rendu compte de notre utilité, les élus aussi ». Branle-bas de combat, il retrouve des locaux. Deux mois après, la structure accueille à nouveau les salariés. Sa santé en prend un coup, le stress, l’angoisse, la fatigue s’accumulent. « Je fais encore des insomnies aujourd’hui, toutes les nuits, je me réveille à 2 h du matin ».
Le cheval, ses yeux
Mais il trouve refuge dans l’équitation, découverte par hasard en 2016, quand les premières taches noires apparaissent dans sa vision. « J’étais en dépression, je n’acceptais pas la maladie, mes cinq enfants, ma femme, m’ont soutenu, et puis j’ai attrapé le virus du cheval, la sensation, la vitesse, c’était lui, mes yeux ». Il fait des compétitions, sauts d’obstacle avec guide, mais aussi du paradressage, dont il devient champion de France. Perdre son autonomie reste frustrante pour l’entrepreneur, « je suis dépendant de mes enfants, mes collègues, on me conduit, on me lit mes mails », mais il garde espoir dans la recherche sur sa maladie. « Peut-être que quand je serai à la retraite, je pourrai à nouveau regarder des films, des séries, comme Star Wars ou Star Trek que j’adore ! ».
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