Le grand invité international – Lassana Bathily, héros de l’Hyper Cacher: «Je ne suis pas un héros, je suis juste un bon citoyen»

Share

Il y a dix ans, le 9 janvier 2015, deux jours après l’attentat contre Charlie Hebdo, quatre personnes étaient tuées par un terroriste à l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, à Paris. Un employé de la supérette, Lassana Bathily, Malien de confession musulmane, a permis à la police de mettre fin à la prise d’otages. Dix ans après, Lassana Bathily est, ce matin, le grand invité international de RFI.

RFI : Bonjour, Lassana Bathily. Nous voici dix ans après la prise d’otages à l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, à Paris. Comment vous vous apprêtez à vivre ce moment, cette journée anniversaire ?

Lassana Bathily : Ce moment, ça va me faire revivre encore, comme il y a dix ans. Bon, ça va être un peu difficile, parce que ça va encore nous rappeler ce qu’on avait vécu pendant la prise d’otages.

Dix ans après, est-ce que vous êtes toujours hanté, habité par ce qui s’est passé ce 9 janvier 2015 ?

Oui. Je me souviens très bien de ce qui s’est passé le 9 janvier 2015, jusqu’à aujourd’hui. Ça me revient encore dix ans après, ça me revient toujours. Comme on dit : c’est une cicatrice qui reste. C’est impossible d’oublier. Impossible.

Ce 9 janvier 2015, la France est encore sous le choc de l’attentat contre Charlie Hebdo, quand un homme lourdement armé s’introduit dans une supérette cacher. Amedy Coulibaly tue immédiatement trois personnes. Il en prend en otage dix-sept autres. À ce moment-là, vous êtes salarié de ce magasin, de l’Hyper Cacher. Vous êtes au sous-sol. Vous rangez des cartons. Qu’est-ce que vous pensez dans les premières minutes de cette prise d’otages ?

Les prises d’otages… Comme je l’ai toujours dit, au début, moi, je pensais que c’était un accident.

Vous avez pensé à un accident de voiture sur le périphérique juste à côté ? 

Exactement. Je n’ai pas pensé que ça se passait vraiment dans le magasin. C’est plus tard, quand les tirs se sont répétés, à plusieurs reprises, que j’ai vu tous les clients descendre pour me rejoindre. C’est là que j’ai commencé à comprendre que ça se passait vraiment dans le magasin.

Oui, parce qu’effectivement, vous voyez quelques clients qui descendent au sous-sol où vous vous trouvez et qui vous disent que des terroristes sont entrés dans le magasin.

Exactement, ça a été un choc. À ce moment, il y avait plus d’une vingtaine de personnes qui se sont bousculées pour descendre précipitamment. C’est un choc pas possible. Quand j’ai vu ces gens-là, j’ai commencé à poser la question : « Qu’est-ce qui se passe ? » Ce sont eux qui m’ont confirmé que les tirs se passaient vraiment dans le magasin.

Et à ce moment-là, vous allez mettre à l’abri des personnes dans la chambre froide.

À ce moment-là, la chambre froide était ouverte, la porte était ouverte. On est tous entrés dans la chambre froide. J’ai même tenu la porte à l’intérieur pour bien nous protéger.

Au bout de quelques minutes, vous proposez aux clients qui sont là de partir, de prendre le monte-charge pour tenter de vous échapper du magasin. C’est ça ?

Oui. Après, ils n’ont pas voulu, ils ont dit : « On va mettre notre vie en danger. » Bon, je leur ai fait comprendre que notre vie est déjà en danger et qu’il faut tenter quelque chose. Ils n’ont pas voulu me suivre finalement. Moi, j’ai coupé les moteurs et j’ai demandé à tout le monde de mettre les téléphones en mode silencieux. Et c’est à ce moment-là que moi, j’ai décidé de prendre le monte-charge.

Vous laissez les clients qui ne veulent pas tenter leur chance avec vous. Vous, vous montez par le monte-charge. Qu’est-ce qui vous pousse à agir ? Qu’est-ce qui vous pousse à partir à ce moment-là ?

À ce moment-là […] je connais bien le magasin. Je me dis : pourquoi ne pas tenter quelque chose ? Bon, le terroriste, il est là, il est armé. Nous, on n’est pas armés.

Et quand vous êtes sorti, Lassana Bathily, les policiers vous arrêtent immédiatement, puisqu’ils encerclent le magasin et ils vont croire pendant assez longtemps, pendant une heure et demie, que vous êtes un des terroristes ?

Oui, pour faire comprendre aux policiers, là, ça a pris beaucoup de temps, parce qu’ils n’avaient aucune information sur moi. Quand je suis sorti, j’ai couru vers eux. C’est vrai qu’ils ont pensé que j’avais des explosifs sur moi. Du coup, avant de m’identifier, ça a pris quand même beaucoup de temps. C’est vrai que j’ai été maltraité au début, parce qu’ils m’ont chopé comme un terroriste…

Ils ont cru que vous étiez un complice d’Amedy Coulibaly ?

Voilà. J’ai été fouillé et menotté pendant plus d’une heure et demie, le temps de m’identifier.

Vous leur dites évidemment que vous travaillez dans le magasin et vous leur faites un plan du magasin. Et c’est ce qui va permettre aux policiers du RAID d’organiser et de lancer l’assaut.

Oui, quand ils ont su que je n’étais pas un terroriste, ils m’ont demandé d’aider à dessiner les plans du magasin […] Ils ont eu un échange avec un des clients dans le magasin pour demander où ils étaient situés.

Et c’est là qu’on vous considère quasi immédiatement comme un héros. Parce que vous avez fait le plan, vous avez pu aider la police à intervenir.

Oui, c’est ça. C’était ça mon rôle le jour de l’attentat.

Vous ne cessez de répéter que vous ne vous considérez pas comme un héros. Pourquoi ?

Moi, je ne suis pas un héros. Je suis juste un bon, un bon simple citoyen qui a réagi au bon moment. Voilà, juste un bon citoyen.

Mais vous devenez, de fait, un héros national ce jour-là. Comment vous avez vécu ce moment-là et les jours qui ont suivi ? Vous vous êtes trouvé dans un tourbillon incroyable.

C’était difficile. Après les attentats, c’était très difficile, parce que j’ai donné ma première interview le jour des attentats vers 03h00 ou 02h00 du matin… Et le lendemain, je vois ma tête partout, aux informations, dans les journaux. Tout le monde parle de moi. Les gens commencent à me critiquer aussi : « Pourquoi t’as montré ta tête ?  Il ne fallait pas montrer ta tête. » Moi, j’ai dit ce que j’ai vécu dans le magasin, je n’ai rien inventé. Bon, c’est vrai que c’était difficile, je n’étais pas préparé à quelque chose qui arrive brutalement comme ça. Ça m’a beaucoup dépassé.

Oui, ça vous a dépassé, parce que vous devenez un héros, que tous les médias sont derrière vous et qu’ils veulent vous interviewer. On vous présente alors comme un Malien musulman qui a sauvé des Français de confession juive. C’est un symbole qui rassure aussi dans cette France traumatisée par les attentats.

Oui, parce qu’un musulman qui travaille avec des juifs, qui a sauvé des juifs, c’est devenu quelque chose de fort, de symbolique. Personne ne s’attendait à ça. Moi, j’ai toujours dit que les juifs, ce sont mes frères. J’ai travaillé avec eux pendant des années. On n’a pas eu de problème de religion dans le magasin et pourtant j’ai pratiqué ma religion dans le magasin. Je faisais mes prières et le ramadan. Moi, je dis que j’ai sauvé des êtres humains, j’ai sauvé des êtres humains… qu’ils soient juifs, athées ou d’autres croyances. On est tous des êtres humains. On doit s’aider quand on en a besoin. 

Et le tourbillon continue. Parce que onze jours après les faits, vous êtes naturalisé français pour acte de bravoure… reconnaissance inespérée, cérémonie avec les ministres de l’époque. Le tourbillon continue.

Oui, c’étaient les remerciements de la République pour ce que j’ai fait à l’Hyper Cacher […] Et je remercie encore l’ancien gouvernement de François Hollande.

Ce jour-là, le jour de votre naturalisation, le 20 janvier 2015, vous lancez à la fin des quelques mots que vous allez prononcer : « Vive la liberté, vive l’amitié, vive la solidarité, vive la France ! »

Oui, c’est ça, nous tous, on doit être solidaires dans ces moments et être fiers, surtout fiers d’être Français. Moi, comme j’ai toujours dit, je me suis senti Français avant même d’avoir obtenu la carte française.

Est-ce que vous avez retrouvé une vie normale aujourd’hui ? Vous nous disiez au début de cet entretien que, dix ans après, forcément, ça fait remonter les souvenirs. Mais est-ce qu’aujourd’hui, vous vivez normalement, si je puis dire ?

Oui, j’ai une vie normale. C’est vrai que les souvenirs restent, mais quand même, j’ai mon activité, je travaille, je fais du sport.

Vous êtes employé à la mairie de Paris, aujourd’hui, je le signale.

Oui, je suis un employé de la mairie de Paris. Service événementiel. Voilà, j’ai pris vraiment une vie normale. Pour l’instant, tout va bien.

Vous rêviez à l’époque, il y a dix ans, d’être un ambassadeur de la Fraternité. Est-ce que vous avez réussi, de votre point de vue, à devenir cet ambassadeur-là ?

Non, je peux dire non, je n’ai pas réussi ça. Mais quand même, j’ai fait pas mal de mal d’interventions, que ce soit dans les écoles, dans les quartiers […]

On vous fait venir dans les écoles, les collèges, les lycées, pour parler, pour raconter votre histoire.

Pour raconter mon histoire, pour raconter comment on peut continuer à vivre ensemble […] Je continue mes interventions. Mais être ambassadeur, je n’ai pas encore réussi.

Quand vous revenez au Mali, chez vous, dans la région de Kayes d’où vous êtes originaire, on vous en parle de cette journée, de ce 9 janvier 2015 ?

Au début, on m’en parlait beaucoup… Mais quand je pars là-bas, ce sont des vacances pour profiter de la famille et des amis. Peut-être les gens des villages voisins, quand ils me voient, ils sont impressionnés […] Mais dans mon village, on est passés à autre chose. On ne m’en parle pas beaucoup.

Puis, vous êtes l’enfant du village, vous êtes tout simplement Lassana…

Oui, je suis Lassana. Le Lassana d’avant, le Lassana d’aujourd’hui. Toujours pareil.

Source du contenu: www.rfi.fr

Dernières nouvelles

Dernières nouvelles