Au lendemain de la mort d’une septième personne dans les émeutes qui continuent de secouer l’archipel du Pacifique Sud, la tension reste vive. Alors que la mission de « rétablir l’ordre dans les jours à venir » fixée par Emmanuel Macron se révèle difficile, l’évacuation de touristes français a commencé. Les opposants à la réforme électorale qui a provoqué les troubles à partir du 13 mai restent, eux, déterminés à obtenir son retrait définitif.
Tout le monde dans l’archipel attendait une prise de parole des indépendantistes, c’est désormais chose faite, rapporte notre correspondante sur place, Charlotte Mannevy. Dans la nuit de vendredi à samedi, c’est d’abord Christian Tein qui s’est exprimé dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux. Le chef de file de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), qui a rencontré le président français jeudi en visite à Nouméa, a appelé ses militants à « desserrer l’étau ». Il les exhorte à alléger les blocages en cours pour notamment permettre l’approvisionnement en médicaments et en carburants. La mobilisation contre la réforme constitutionnelle sur le corps électoral qui a mis le feu aux poudres doit, elle, se poursuivre, a-t-il insisté.
Un peu plus tard, le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), qui fédère la quasi-totalité des mouvements indépendantistes, a confirmé la consigne : la mobilisation doit se poursuivre et la réforme constitutionnelle doit purement et simplement être retirée.
Le texte en question prévoit l’élargissement du corps électoral pour les scrutins provinciaux en Nouvelle-Calédonie, actuellement réservés aux natifs et aux résidents arrivés avant 1998 ainsi qu’à leurs descendants. Les indépendantistes craignent que cette réforme ne réduise leur poids et veulent son retrait définitif. Le peuple autochtone kanak représente plus de 41% de la population locale.
Jeudi, le président français Emmanuel Macron a effectué une visite éclair en Nouvelle-Calédonie, où il s’est engagé à ce que la réforme « ne passe pas en force ».
Le FLNKS indique ne pas fermer la porte à la discussion, mais estime sur le fait que la mission de médiation, annoncée par le président français et composée de trois hauts fonctionnaires, doit être complétée par des « personnalités de haut niveau ».
Maisons incendiées dans la nuit
En attendant un retour au calme, de nouvelles opérations des forces de l’ordre ont eu lieu dans la nuit de vendredi à samedi dans plusieurs quartiers sensibles, toujours aux mains d’émeutiers. Le Haut-commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie a rapporté dans un communiqué samedi des opérations contre les barrages dans sept quartiers de Nouméa, principalement dans le nord de la ville. « La neutralisation et le nettoyage des barrages s’effectuent sous la sécurisation des forces de police et de gendarmerie », a-t-il décrit.
Dans les quartiers nord de Nouméa, une trentaine de personnes, qui fuyaient leurs maisons incendiées, ont dû être évacuées par la mer, les routes étant, là aussi, bloquées. Les autorités ont fait état de « 35 personnes, dont sept mineurs », sauvées par la brigade nautique en pleine nuit.
Vendredi, le procureur de Nouméa Yves Dupas a annoncé qu’un homme de 48 ans avait été tué par un policier, portant à sept le nombre de personnes tuées depuis le début des troubles – après deux gendarmes, dont un dans un tir accidentel, trois Kanaks et un Caldoche [Calédonien d’origine européenne, ndlr].
Il s’agissait « d’un policier en civil, qui n’était pas en service » et « a été pris à partie par une vingtaine d’individus dans le cadre d’un barrage », a précisé samedi Marie Guévenoux, la ministre déléguée aux Outre-mer, restée en Nouvelle-Calédonie depuis la visite du chef de l’État. « Il n’y a pas d’opérations de police qui ont mené à la mort de personnes et c’est extrêmement important de le souligner », a-t-elle ajouté.
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Le policier, « sur lequel des traces de coups ont été relevées », a été placé en garde à vue et le parquet a ouvert une enquête pour homicide volontaire par personne dépositaire de l’autorité publique.
L’état d’urgence, instauré le 16 mai, continue de prévaloir sur l’archipel : couvre-feu nocturne, interdiction de rassemblement, de transports d’armes et de vente d’alcool, bannissement de l’application TikTok.
Emmanuel Macron souhaite pouvoir lever cet état d’urgence grâce à un « apaisement » qui viendrait de négociations sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Il a donné jusqu’à fin juin aux élus et responsables politiques de l’archipel, aidés par une mission de médiation de trois hauts fonctionnaires dépêchés de Paris. L’objectif du président est « un accord global » qui « puisse être soumis au vote des Calédoniens ».
L’évacuation des premiers touristes français a commencé
Pour les Français de l’hexagone coincés en Nouvelle-Calédonie en raison des émeutes, les premiers vols à bord d’appareils militaires ont décollé samedi de l’aérodrome de Magenta à Nouméa, vers l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
Valises en main et guidés par les militaires qui sécurisent depuis dix jours l’aérodrome de Magenta à Nouméa – habituellement réservé à la desserte locale, Audrey fait partie des tout premiers touristes hexagonaux à pouvoir quitter le territoire. « J’ai reçu la veille du départ un SMS me demandant de me tenir prête pour embarquer ce samedi », explique-t-elle, faisant part de sa joie et son soulagement.
Comme Audrey, la plupart des passagers étaient venus passer des vacances en famille ou chez des amis. Pascaline accompagne sa meilleure amie à l’aéroport et se dit « très heureuse » de la voir rentrer chez elle, après trois semaines et demie passées en Nouvelle-Calédonie.
Les passagers ont embarqué à bord de C130 des forces armées australiennes et néo-zélandaises, car ce rapatriement est le fruit d’une coopération régionale.
Solange n’a pas pu partir et indique ne pas comprendre pourquoi la France n’organise pas un pont aérien pour ses ressortissants. « Comment se fait-il que les Australiens et les Néo-Zélandais puissent quitter le territoire, que le président de la République puisse se poser sur le territoire et repartir sans problème, et que nous, nous ne puissions pas ? », s’interroge-t-elle.
Impossible de dire combien de personnes sont en attente d’un départ du territoire. Plus de 500 personnes ont déjà été évacuées, principalement par les gouvernements australiens et néo-zélandais. Les vols commerciaux sont toujours suspendus et l’aéroport international de Nouméa rouvrira ses portes au plus tôt mercredi 28 mai, en raison de l’insécurité sur la route.
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