Reportage France – En Champagne, les conditions de travail des vendangeurs font débat

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Les vendanges se sont terminées il y a quelques jours en Champagne. Petite en quantité, la cueillette de cette année a été scrutée de près. En 2023, plusieurs récoltants sont morts. Depuis, la filière s’est mobilisée. Un plan d’actions a été mis en place pour contrôler l’emploi des saisonniers.

Igor Dautelle s’arrête à la sortie de la gare d’Épernay. Son regard se pose sur un groupe d’hommes assis au milieu du square voisin. « Cette gare a été de tout temps un point d’arrivée de travailleurs qui arrivent d’un peu partout en France, notamment du nord. Mais surtout de la région parisienne. Ce sont des hommes jeunes, souvent d’origine africaine. Ils peuvent être 20, 30, jusqu’à 50 ici à attendre que l’on leur propose un emploi. Vous voyez, il y en a aussi qui dorment dans le parc. Des mesures ont été mises en place. France Travail organise des points d’accueil, des associations patrouillent pour leur venir en aide. Certains ont des papiers, d’autres non. C’est la main d’œuvre vulnérable qui est laissée là ». L’homme est inquiet. Ces saisonniers n’ont pas de contrat de travail et ne peuvent compter que sur un salaire de misère : à peine 14 euros une journée de travail.


Les travailleurs africains sans contrat attendent à la sortie de la gare d’Épernay. © RFI/Agnieszka Kumor

Des cas similaires, Igor Dautelle en connait. Directeur adjoint du Travail, responsable de l’Unité régionale d’appui et de contrôle chargée de la lutte contre le travail illégal (Uracti) pour la région du Grand Est, l’homme revient en Champagne depuis plusieurs années. Durant une dizaine de jours, il sillonne les vignes à bord d’une citadine blanche. Dans son équipe, une vingtaine d’inspecteurs et d’inspectrices contrôlent 24 heures sur 24 les conditions de travail des vendangeurs. Ces agents peuvent compter sur l’aide de 84 gendarmes mobilisés en permanence pour cette campagne.

En 2023, cinq vendangeurs ont trouvé la mort en Champagne, notamment à cause des températures extrêmes. En parallèle, trois hébergements insalubres ont été fermés et deux enquêtes ont été ouvertes pour traite d’êtres humains. Les vignerons et les maisons de champagne ont décidé d’agir. Un plan « Ensemble pour les vendanges en Champagne » a été mis en place dès le mois de juin 2024 autour des conditions de santé, de sécurité et d’emploi des travailleurs saisonniers. 

Les droits des travailleurs

À 14 kilomètres de là, sur la commune d’Oger, c’est un prestataire de services viticoles qui a embauché les travailleurs bulgares pour la maison de champagne Laurent Perrier. L’inspectrice du travail examine les contrats et les listes de présence. On l’informe qu’un audit interne a été confié par la marque à une entreprise indépendante. C’est un petit plus que les maisons de champagne s’offrent pour s’assurer de la probité de leurs sous-traitants.

Deux équipes de cueilleurs, sécateurs en main, avancent rapidement le long de rangs des vignes. Malgré un travail harassant, les hommes fanfaronnent et les femmes rient. « Sylvia, Zornitsa, Tatiana, Seyhan, Yorgo… ! » : les présentations sont faites. Originaires de Doulovo, dans le nord-est de la Bulgarie, ils n’ont pas trouvé de travail dans leur ville. Ces récoltants bulgares ne savent ni lire ni écrire. La cheffe d’équipe assure les traductions.

Les saisonnières bulgares venues faire les vendanges en Champagne.
Les saisonnières bulgares venues faire les vendanges en Champagne. © RFI/Agnieszka Kumor

La rémunération est à la tâche : 22 centimes le kilo. « Comme la récolte est maigre cette année, leurs payes devront être compensées jusqu’au niveau du smic, à savoir 11,65 euros par heure », assure Igor Dautelle. Les flyers en bulgare sont distribués. « Les saisonniers sont méfiants et pensent que nous venons pour les embêter. Or, nous sommes là pour nous assurer que leurs droits de travailleurs soient respectés ». Nom, prénom, date de naissance, l’adresse du récoltant… Tout est noté, y compris les cotisations de l’employeur pour faire valoir le droit des saisonniers à la retraite. « Même si ce ne sont pas des sommes importantes, c’est toujours un petit plus dans leur retraite », martèle l’agent. Faudrait-il encore que ces salariés sachent vers quel organisme se tourner… Mais ici, tout est en règle. Les inspecteurs reviendront pour vérifier les logements des récoltants.

Dix pour cent d’infractions

L’hébergement collectif est le maillon faible du système. Sur une centaine de contrôles effectués cette année, une dizaine d’infractions ont été relevées. « On a monté une opération avec un renfort de la gendarmerie. Sur place, on a constaté une présence de salariés de différentes nationalités. Des Géorgiens, des Slovènes ou encore des Bulgares logés dans des conditions indignes, ne sachant pas pour qui ils travaillaient. Au bout de deux heures de tractations, on a réussi à obtenir un contrat de location de ces lieux signé entre une entreprise française et une société roumaine. Il s’avère que cette dernière n’existe pas », affirme Igor Dautelle.

Ces vendangeurs bulgares sont originaires de la ville de Doulovo.
Ces vendangeurs bulgares sont originaires de la ville de Doulovo. © RFI/Agnieszka Kumor

Entre 100 000 et 120 000 vendangeurs viennent chaque année en Champagne, précise David Chatillon, président de l’Union des maisons de Champagne (UMC) et coprésident du Comité Champagne (CIVC). D’après les données de la Sécurité sociale agricole, la moitié de cette main d’œuvre saisonnière vient de l’étranger, essentiellement d’Europe de l’Est.

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Ces Polonais, Bulgares ou autres Roumains sont embauchés par les prestataires de services locaux ou étrangers. L’écrasante majorité des sous-traitants travaillent bien, assure le coprésident. Mais il y a aussi des brebis galeuses. « C’est pour éliminer ces dérives que nous avons demandé à l’État de renforcer les contrôles. Mais nous avons voulu aller plus loin. Une plateforme de mise en relation entre les domaines et ceux qui recrutent les saisonniers a été créée. Baptisée VitiArgos, elle permet de contractualiser les engagements des prestataires, et en cas de manquement, de sanctionner », estime David Chatillon, qui précise que des livrets d’accueil des vendangeurs sont disponibles en huit langues sur l’accès personnel des domaines à la plateforme.

Les inspecteurs du travail distribuent les tracts en bulgare pour informer les saisonniers de leurs droits.
Les inspecteurs du travail distribuent les tracts en bulgare pour informer les saisonniers de leurs droits. © RFI/Agnieszka Kumor

Les prestataires de services

Tous les vignerons interrogés assurent qu’ils rencontrent des difficultés à recruter. Face à ce problème, ils se tournent vers les sous-traitants. Pour Maxime Toubart, président du syndicat des vignerons (SGV) et coprésident du Comité Champagne (CIVC) ce sont des normes trop strictes qui ont découragé les vignerons. « En 1995, un décret d’État a renforcé les conditions d’hébergement des saisonniers. Beaucoup de vignerons ont baissé les bras et préfèrent une récolte clé en main assurée par un prestataire. En conséquence, ils ne savent pas qui travaille pour eux, ni comment sont logés leurs salariés ».

En Champagne, la récolte du raisin se fait entièrement à la main. Près de la moitié des 34 000 hectares de vignes est vendangée par les sous-traitants, selon la filière qui a vendu 300 millions de bouteilles de champagne en 2023. Ces entreprises sont aujourd’hui indispensables au bon fonctionnement du vignoble. « On n’a pas inventé de machine capable de remplacer le cueilleur. Si la peau du raisin éclate, elle colore le jus. Ce n’est pas ce que nous recherchons », assure Maxime Toubart.

En 2024, la récolte a été réduite à cause des aléas climatiques et des maladies de la vigne.
En 2024, la récolte a été réduite à cause des aléas climatiques et des maladies de la vigne. © RFI/Agnieszka Kumor

Trouver des solutions à plus long terme

Si la Champagne a besoin de son armée de saisonniers, une question revient chaque année : comment les héberger ? « On a des solutions un peu sparadrap avec des gîtes, des hôtels, etc. Il faudrait réfléchir à des hébergements collectifs plus importants. Cela implique des moyens, des endroits stratégiques. Notre plan d’actions s’inscrit dans le court terme parce qu’il fallait trouver des remèdes à ces scandales innommables qui ont entaché la réputation de ceux qui travaillent bien, mais aussi l’image de la Champagne. Mais on travaille aussi pour trouver des solutions à plus long terme ». En septembre 2024, une ancienne base aérienne militaire 112 près de Reims a été réaménagée pour accueillir 360 vendangeurs. Un projet porté par une société de prestation viticole installée dans la Marne. Une expérimentation à renouveler ?

Dans le village de Trois-Puits, Pierre Trichet, propriétaire du domaine homonyme, s’inquiète : « La main d’œuvre se fait rare. Dès la fin des vendanges, les vignerons anticipent avec angoisse leur prochaine récolte ».

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Source du contenu: www.rfi.fr

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