IA en France : «un environnement moteur très puissant», mais encore beaucoup de questions

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Au-delà du succès de la start-up Mistral, la France est-elle suffisamment équipée pour faire sa place dans le monde ultra-concurrentiel de l’IA ? C’est ce que pensent les créateurs de l’événement Raise Summit qui vient de s’achever à Paris. Avec l’un d’eux, RFI fait le tour des forces et faiblesses de l’intelligence artificielle « à la française ».

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Riches d’expériences dans des fonds d’investissement et des start-up, Hadrien de Cournon et Henri Delahaye ont naturellement eu l’idée d’organiser une journée autour de l’IA en France : « On s’est dit qu’il y avait une place pour un événement un peu plus qualitatif à Paris. En France, il y a un environnement moteur très puissant autour de l’intelligence artificielle », explique Hadrien de Cournon. L’événement a été coorganisé avec Chain of Events, déjà à l’initiative de la Paris Blockchain Week.

Leur parcours très orienté « entreprises et investissements » leur a permis durant cette journée de mettre en avant autant le travail des acteurs dans la recherche fondamentale, que celui des fonds d’investissement qui soutiennent les start-up dans le domaine, tout comme les grands groupes qui utilisent déjà l’IA. « L’idée, c’était de présenter plusieurs thèmes d’application de l’IA générative à destination des entreprises, en trois temps : l’innovation et la transformation commentées par des groupes comme Dassault, LVMH, L’Oréal ; les fabricants de l’IA avec des créateurs comme Aravind Srinivas, fondateur d’un moteur de recherche boosté à l’IA (Perplexity), Jonathan Ross, le créateur d’une puce révolutionnaire (Groq) ou encore Arthur Mensch, fondateur d’une startup européenne spécialisée dans le développement de l’intelligence artificielle générative (Mistral) ; et une dernière partie levier financier avec les investisseurs et la prise en compte des enjeux socio-économiques de l’IA. » 

L’argent public, un tremplin pour des investissements privés

Il s’agissait ainsi de dévoiler un large spectre de ce qui se fait dans le secteur dans lequel la France possède de sérieux atouts, mais aussi quelques lacunes. Si l’Hexagone est en avance dans la recherche et certaines de ses applications, elle est à la peine concernant les investissements.

Toute annonce de levées de fonds, ou de rapprochement avec d’autres géants étrangers est donc scrutée avec attention. Illustration durant le Raise Summit : « On a appris pendant la conférence que Jonathan Ross, Groq, étaient en train de régler un deal au dernier moment avec Mistral, relate Hadrien de Cournon. On a cru qu’on aurait une annonce en exclusivité avec Arthur Mensch, Mistral, sur scène, mais bon, pour l’instant, ce n’est pas encore fait. »

« L’IA, c’est un sujet brûlant, poursuit-il. Les fonds d’investissement se battent pour avoir la primeur sur les entreprises performantes [dans le secteur] ». Cela concerne non seulement le software (programme), mais aussi le hardware (les équipements). Et la compétition est rude : aux États-Unis, le « Chips and Science Act », qui date de l’été 2022, prévoit 52,7 milliards de dollars pour relancer la production de semi-conducteurs dans le pays, avec l’idée que l’argent public serve de tremplin pour des investissements privés. L’Europe a tenté d’emboîter le pas, mais dans des montants plus modestes : 8 milliards d’euros de fonds publics, pour 13,7 milliards provenant du privé.

« On se croirait en 95, quand Internet arrivait »

Mais pour être compétitif, doit-on reléguer à plus tard la question de la régulation ? Question lancinante dans le paysage IA français, mais aussi européen. Ainsi, selon Gilles Babinet du Conseil national du numérique, « il ne faut pas trop réguler pour permettre l’innovation. »

Durant les négociations de l’IA Act, la France tout comme l’Allemagne étaient favorables à une auto-régulation pour protéger leurs champions, Mistral AI et Alep Alpha (soutenu par SAP ou le groupe Schwarz). C’est un compromis européen qui a été décidé. Ce qui démontre l’ampleur du chantier dans le domaine. « On se croirait en 95, quand Internet arrivait », commente Gilles Babinet.

Selon le président du Medef Patrick Martin, l’IA Act, règlement européen adopté en mars, « est un petit peu suspect, au moment où nos concurrents américains sont en train d’accélérer d’une manière spectaculaire, avec des moyens qu’on n’a pas toujours ». Selon lui, « il faut trouver les bons compromis sans pour autant se livrer à des acteurs qui ne sont pas des ennemis, mais qui ont de véritables stratégies de puissance en la matière. »

En tout cas, l’ambition reste intacte, et Emmanuel Macron l’a répété lors de son discours à La Sorbonne ce jeudi 25 avril : « L’Europe doit devenir un leader mondial d’ici à 2030 sur l’IA. »

La France et l’Europe, les Etats-Unis mais aussi les pays émergents sont donc lancé dans une course de vitesse depuis peu. « Lors de l’arrivée de ChatGPT [en novembre 2022], personne n’aurait pu prédire cette croissance de l’IA. […] Google était surpris et a été pris de court, ça dit vraiment quelque chose ! Personne n’était prêt ! », se rappelle Antoine Blondeau d’Alpha Intelligence Capital. 

La métaphore de la « ruée vers l’or » est préférée par Olivier Oullier, d’Inclusive Brains, période de l’histoire où les gagnants ne furent pas forcément les chercheurs, mais par exemple les industries annexes comme Levi Strauss qui vendait des pantalons aux prospecteurs. Mais ne risque-t-on pas d’assister à une bulle spéculative ? « Une multiplication d’acteurs sortent des modèles assez proches, encore plus pointus que ChatGPT4. Comment le marché va-t-il se structurer ? Y en a-t-il [déjà] trop ? » s’interroge Adrien de Cournon.

Un « risque élevé d’automatisation »

Reste la question de l’impact de l’IA sur le secteur de l’emploi en France. Selon Gabriel Hubert de Dust, l’adoption de l’IA en entreprise est question d’apprentissage et d’habitudes :« Au début avec l’IA, les gens ont peur, mais après une semaine d’utilisation, ils comprennent qu’ils sont gagnants. La question demeure : est-ce que je lui fais confiance ? Que puis-je en faire ? » Florence Verzelende, de Dassault, explique de son côté que « l‘important est de laisser l’IA aux employés et de leur apprendre à l’utiliser. Ça ne va pas tuer l’emploi mais le modifier, le rendre extrêmement productif. C’est une chance de pouvoir éviter le plus ennuyeux dans un métier. »

Selon Ipsos, pas moins de 64% des Français jugent probable que l’IA détruise des emplois. Au-delà des spéculations, l’IA générative en France, selon le cabinet de conseil Roland Berger, aurait des effets sur près « d’un tiers de l’activité professionnelle » et quelque 800 000 emplois seraient soumis à « un risque élevé d’automatisation » et 1,4 million d’emplois seraient plutôt « augmentés ». 

Source du contenu: www.rfi.fr

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