En résumant les vidéos des influenceurs jugées trop longues, cet internaute aspire à revenir à l’essence même de TikTok et de ses vidéos courtes. Le concept fait grincer des dents.
«J’aime pas les histoires longues» résume sobrement la biographie de son compte TikTok. Il a fallu moins d’un mois à «Abrège Frère» pour réunir plus d’un million de personnes sur son profil. La recette miracle ? Résumer des vidéos jugées trop longues de créateurs de contenu. Plusieurs minutes de «story times» (où les influenceurs racontent une anecdote qui leur est arrivée, parfois en plusieurs vidéos) se transforment en quelques secondes, et «Abrège Frère» se targue de faire ainsi gagner du temps aux utilisateurs de la plateforme.
Chaque vidéo décline la même recette : le tiktokeur résume la vidéo de son choix, le tout sur un ton monocorde et en arborant un air dédaigneux. Le concept est autant adoré par les internautes qu’il est haï par les créateurs de contenu. «Temps cumulé gagné: 2h51m16s», estime l’homme dans sa biographie TikTok grâce à son concept. Mais Abrège Frère s’avère être un véritable problème pour les petits créateurs qui voient leurs vidéos abruptement résumées. Or l’algorithme de TikTok, gardé en partie secret, se fonde essentiellement sur le temps de visionnage d’une vidéo plus que sur les interactions qu’elle engendre, pour la faire gagner en visibilité.
Des vidéos toujours plus longues
Ces dernières années, TikTok s’est progressivement éloigné de son concept d’origine de vidéos très courtes en allongeant la durée d’enregistrement possible : de quelques secondes à une minute, trois, puis jusqu’à dix minutes en 2022. Une stratégie savante pour garder les utilisateurs sur sa plateforme. Et les conserver dans une boucle. Pour être rémunérées, les vidéos sur la plateforme doivent durer au moins une minute.
La communauté d’Abrège Frère, elle, défend le concept, prétendant qu’il s’agit d’un moyen de retrouver l’essence de base de TikTok : les vidéos courtes. Alors que la plateforme accueille désormais du contenu lifestyle digne des grandes heures de YouTube, avec des vlogs et des vidéos face caméra de plusieurs minutes. Et c’est là que ça coince. En imposant son résumé, Abrège Frère chamboule le principe des vidéos allongées, qui s’étirent parfois en plusieurs parties… et récupère au passage la possible audience de la vidéo originale.
«Vagues de misogynie»
Mais ce n’est pas la seule composante de la polémique. Plusieurs influenceuses accusent le compte de viser essentiellement les femmes dans ce contenu censé être humoristique. Elles dénoncent ensuite être envahies de «abrège» dans leurs commentaires par une partie de la communauté du tiktokeur, voire d’être cyberharcelée par celle-ci.
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«Dès qu’une fille parle plus d’une minute sur TikTok et que sa vidéo marche bien, vous êtes sûrs de trouver au moins cinq personnes qui vont taguer @AbregeFrere en disant des trucs hyperviolents» explique Alena dans une vidéo. «Laissez les meufs parler. C’est quoi ce délire à policer nos temps de parole comme ça? Quand tu bases ton contenu que sur ça, ça lance d’énormes vagues de misogynie, avec des filles qui se font insulter juste parce qu’elles parlent plus d’une minute.», souffle-t-elle.
De son côté, Inès mentionne avoir reçu «un commentaire qui disait que j’étais une… ça rime avec antilope», et «que si on me croisait dans la rue, on allait m’enfoncer un objet tranchant en plein dans la gorge, parce que ma vidéo était trop longue, qu’il avait la flemme d’écouter et que je devais abréger».
Si elles ne visent pas directement le tiktokeur, les influenceuses en question l’appellent à «calmer sa communauté».
Pas de contenu original
Notoriété, monétisation ou simple amusement ? Sollicités par Le Figaro, ni TikTok, ni Abrège Frère n’ont répondu, notamment sur la monétisation de ce type de contenu. Il semble cependant que les vidéos du tiktokeur ne soient pas éligibles à la rémunération. Car ses publications ne sont pas considérées comme un «contenu original», défini par la plateforme comme «un contenu conçu, filmé et produit» par une personne, mettant en valeur son talent ou son expertise. Les vidéos d’Abrège Frère (réalisées avec la fonction Collages) sont donc considérées plutôt comme du «meta-contenu», basé sur le travail d’autrui avec leurs images et leurs histoires.
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Ce concept de vidéos abrégées cartonne aussi à l’étranger. L’italien Khabane « Khaby » Lame est devenu le « tiktokeur » le plus suivi au monde (160 millions d’abonnés) en simplifiant avec humour des vidéos d’astuces de vie plutôt absurdes. L’américain Heyitsyoon, lui, aime couper court les longs récits, avachi dans son lit.
Si Abrège Frère se targue de faire économiser du temps à ses abonnés, à l’heure où les 4-18 ans passent près de deux heures sur TikTok chaque jour, et où regarder des vidéos consiste en un zapping interminable, opter pour des vidéos plus courtes ne fait que précipiter le fait… d’en visionner une autre.
Source du contenu: www.lefigaro.fr