Lutte contre les infox: «Il y a une volonté de TikTok de s’afficher comme un réseau social fiable»

Share

Alors que le réseau social chinois a dit vouloir renforcer sa lutte contre les infox à l’approche des élections européennes de juin prochain, entretien avec Maxime Arquillière et Coline Chavane, deux analystes au sein de la société française de solution de cybersécurité Sekoia.io.

Publié le :

5 mn

TikTok a annoncé vouloir renforcer sa lutte contre les fausses nouvelles et les opérations d’influence clandestines à l’approche des élections du Parlement européen en juin prochain. Le réseau social chinois va créer une application en langue locale dans les 27 pays de l’union européenne et dit collaborer avec des vérificateurs d’information. D’autres géants de l’internet tels que Meta, Microsoft, Google ou Open IA ont aussi déclaré vouloir se prémunir contre de possibles campagnes d’influences orchestrées par de grandes puissances à l’occasion d’une année électorale très remplie à travers le monde.

RFI : Que pensez-vous de cette initiative de TikTok pour tenter de contrer les campagnes d’influence et les fausses informations à l’occasion des prochaines élections européennes ?

Maxime Arquillière : Toute initiative qui prend acte des problématiques d’influence et des informations sur les réseaux sociaux et qui tente d’entraver le phénomène est une initiative qui est bonne à prendre, d’autant que TikTok est un réseau social qui touche surtout les jeunes générations qui s’informent de moins en moins sur les médias traditionnels. Mais si je peux apporter un bémol, il y a aussi une volonté de TikTok de s’afficher comme un réseau social fiable, à l’inverse de Twitter qui, depuis les déboires d’Elon Musk, tombe un peu dans la désinformation. Ou, en tout cas, enlève toutes les barrières qui étaient mises en place par l’ancienne équipe sur les questions de désinformation.

Et peut-être l’autre point qui touche à cet opportunisme est le fait que l’entreprise essaye de se racheter une image, parce qu’il faut bien se rappeler que c’est un réseau social qui est géré par une société chinoise, Bytedance qui a des liens supposés avec le Parti communiste chinois. Donc, on peut analyser cette initiative sous ces deux angles.

Coline Chavane : Depuis le début de la guerre en Ukraine, on a vu que TikTok a mis en place plusieurs mesures, notamment pour assurer l’authenticité des contenus qui étaient sur la plateforme. On a, par exemple, un label qui a été ajouté pour les vidéos produites par des médias financés par des États. Pour autant, lors des élections de mi-mandat aux États-Unis en novembre 2022, il y a eu une campagne d’influence chinoise mise à jour. Et donc ça montre comment, malgré ces barrières et ces garde-fous, la modération est assez faible pour l’instant sur ce type de médias. D’autant qu’il existe déjà des campagnes d’influence qui ciblent des audiences en s’appuyant sur des langues locales ou sur de la géolocalisation, pour pousser tel ou tel type de contenu.

2024 est une année riche d’un point de vue électoral à travers le monde. Est-ce que l’on peut dire que les risques de manipulation de l’opinion n’ont jamais été aussi importants ? Et quels sont les pays les plus fragilisés ?

Maxime Arquillière : Moi, je prendrai clairement l’exemple des élections américaines. Aujourd’hui, on a vraiment une base électorale républicaine qui est extrêmement perméable à un certain type de fausses informations, notamment les deep fakes, sur le camp d’en face, que ce soit sur le président Joe Biden ou sur les mesures qu’il porte. Et il y a de plus en plus de défiance envers les médias, on va dire traditionnels, y compris américains, ce qui fait qu’aujourd’hui, toute information qui est partagée sur les réseaux sociaux va être au même niveau qu’une information portée par un grand média de type New York Times ou Washington Post. Et ça, c’est quelque chose que certains États comme la Russie ou la Chine comprennent bien et donc ils essayent de créer ce doute permanent dans l’esprit des électeurs.

Coline Chavane : Ce sont des campagnes de désinformation qui sont de plus en plus multiplateformes, et qui utilisent un très grand nombre de relais, que ça soit les réseaux sociaux, ou de faux sites d’information, mais aussi la mobilisation de journalistes locaux. On a une campagne qui a été récemment mise à jour en Amérique latine par les services secrets américains et qui montre comment la Russie, par des relais privés, est en contact et forme des groupes avec des journalistes locaux qui sont des relais d’influence dans ces zones-là pour pousser les narratifs. Il faut comprendre aussi que les technologies, l’utilisation croissante des réseaux sociaux et aussi toutes les données qui sont issues de ces plateformes pour mesurer l’impact de tel ou tel contenu sur une audience permettent d’affiner et de rendre ces campagnes plus efficaces, plus sophistiquées dans les moyens qu’elles utilisent et dans leur capacité de toucher une audience très vaste.

À écouter aussiLes dessous de l’infox – Élections 2024, se préparer à déjouer les pièges des IA génératives

Comment font les États pour se prémunir de cette manipulation de leurs opinions et la diffusion de fausses informations ?

Coline Chavane : L’année dernière, les États-Unis ont interdit dans une certaine mesure l’emploi de de TikTok, l’Union européenne l’a fait également en interdisant son emploi par les fonctionnaires européens. Avec le Digital Service Act (DSA), une loi promulguée en 2023, on voit que les pays européens veulent légiférer contre ce type d’agissements et qu’il y a une volonté politique de restreindre l’emploi de ce type de plateforme.

Maxime Arquillière : Les élections européennes seront un enjeu très fort en matière de lutte contre la désinformation. Il se peut, en effet, que les droites européennes, qui ont le vent en poupe, souhaitent nourrir ce genre de contenu, pour avoir une influence plus forte aujourd’hui au sein de l’Union européenne, et essaie d’affaiblir une position politique qui pourrait être exploitée, par exemple, par des pays comme la Russie, la Biélorussie ou la Chine.

À lire aussi«Sur TikTok, l’utilisateur donne les rênes à l’algorithme»

Source du contenu: www.rfi.fr

Dernières nouvelles

Dernières nouvelles