Lundi 2 août 2010, Institut Gustave-Roussy, à Villejuif (Val-de-Marne). A 29 ans, Sabrina Le Bars, maman depuis quelques jours, demande que le miroir de sa chambre d’hôpital soit caché. Après quatorze heures d’opération d’un cancer de la tête et du cou, elle ne veut pas voir, dit-elle, sa « gueule cassée ».
Treize ans plus tard, samedi 16 décembre 2023, à Vincennes (Val-de-Marne). En petite robe noire de cocktail, la même, sourire chaleureux, célèbre l’association Corasso, fondée en 2014 avec une autre patiente, Christine Fauquembergue, sur les conseils de deux spécialistes de ces pathologies, François Janot, chirurgien à Gustave-Roussy, et Anne-Catherine Baglin, anatomopathologiste à l’hôpital Foch, à Suresnes (Hauts-de-Seine). A l’époque, il s’agit avant tout de sortir de la solitude les personnes opérées de ces cancers méconnus pouvant se loger au niveau des sinus, de la cavité buccale, du pharynx, du larynx, etc. « Une patiente venait de se suicider, se souvient Sabrina Le Bars. Après une telle opération, tout ce que fait le chirurgien est visible à l’extérieur. La voix change, on touche à l’identité. Chacun doit apprendre à reconstruire une nouvelle image. »
Le groupe privé « Corasso échangeons », lancé par l’association sur Facebook, a déjà porté ses fruits : lors de cette soirée de décembre, sur des écrans habillés de couleurs pop, défilent des témoignages de patients qui ne se cachent plus. Certains d’entre eux étaient déjà là en 2018 pour « Quoi ma gueule ? », une opération coup-de-poing où ils énonçaient, face caméra, le titre de Johnny Hallyday. « Sabrina Le Bars a cassé un tabou en révolutionnant la communication autour de ce cancer désocialisant, estime Sylvie Boisramé, directrice de l’unité de formation et de recherche (UFR) d’odontologie de Bretagne-Occidentale à Brest. Les actions de l’association ont déjà changé le regard de la population sur les patients. »
Des premiers signes terriblement banals
En septembre dernier, cette professeure des universités et praticienne hospitalière de chirurgie orale a organisé, avec ses collègues ORL, une journée de dépistage où Emilie Carré, secrétaire de Corasso, a échangé avec de futurs chirurgiens-dentistes. Le cancer de cette jeune femme de 26 ans a été diagnostiqué en 2020, dit-elle, « après cinq consultations médicales vaines où je suis ressortie avec des prescriptions de sirop pour la toux ». Sabrina Le Bars cherche à multiplier les prises de parole de bénévoles face à des professionnels de santé. « Le témoignage de visu est bien plus percutant que la théorie, raconte-t-elle. Il expose sans filtre les conséquences souvent invalidantes, même handicapantes et très visibles d’un diagnostic tardif. A tel point que l’on oublie difficilement de tels moments. »
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