Yasmine Belkaid est de retour en France, qu’on se le dise ! Même assortie de roulements de tambour, l’annonce risque de ne pas bouleverser le grand public. Les scientifiques font rarement les gros titres – sauf lorsqu’ils décrochent un Nobel… ou proposent des traitements douteux pour vaincre une pandémie. Dans le monde de la recherche médicale, en revanche, l’arrivée de l’immunologiste franco-algérienne à la tête de l’Institut Pasteur, après un quart de siècle passé aux Etats-Unis, constitue un événement. D’autant qu’une seule femme a occupé cette fonction avant elle.
« Toutes les universités américaines lui auraient fait un pont d’or et elle vient chez nous, c’est un petit miracle », souffle Alain Fischer, président de l’Académie des sciences et immunologiste comme elle. « Un miracle ? Je dirais plutôt que c’est un choix très raisonné, corrige son amie Bana Jabri, elle aussi immunologiste, professeure à l’université de Chicago et prochaine directrice de l’Institut Imagine, à Paris. Cette décision conjugue ses intérêts scientifiques, politiques et humains. »
Quant à Anthony Fauci, son patron pendant dix-sept ans aux National Institutes of Health (NIH), il ne cache pas ses sentiments mitigés. « C’est avec un mélange de tristesse et d’excitation positive que nous, ici aux Etats-Unis et aux NIH, faisons nos adieux à Yasmine Belkaid, nous déclare le “M. Santé publique” des huit derniers présidents américains. Nous sommes tristes parce que nous perdons l’une de nos scientifiques les plus appréciées et les plus chères, une superstar scientifique et un leader visionnaire, mais nous sommes excités d’une manière positive parce que nous savons qu’elle sera directrice de l’Institut Pasteur, l’une des institutions de recherche biomédicale les plus remarquables au monde. » Le décor est posé.
La science, son refuge
Parler du « retour en France » de Yasmine Belkaid, c’est toutefois oublier sa troisième patrie. Ou plutôt la première : l’Algérie. C’est là qu’elle est née, en août 1968, dans une famille binationale, profondément marquée par la lutte indépendantiste. Son père a quitté l’école pour rejoindre la guérilla à l’âge de 13 ans. En pur autodidacte, il a gravi les échelons administratifs pour devenir haut fonctionnaire, puis ministre. Sa mère, française, professeure de lettres classiques, a traversé la Méditerranée en 1962 « pour venir reconstruire le pays et réparer les ravages de la colonisation ». Dans la famille, on chérit donc la liberté, l’engagement et le savoir.
La jeune Yasmine ajoute à ce cocktail une passion toute personnelle : la science. Elle l’a découverte pendant ses vacances en France, chez sa grand-mère pharmacienne. « Elle avait un laboratoire derrière l’officine, se souvient-elle. Mes premiers jouets, c’étaient des objets scientifiques sur la paillasse blanche. Et elle m’amenait dans la montagne, me montrait les plantes, comment on pouvait les transformer en remèdes. A 6 ans, j’ai annoncé que je voulais devenir chercheuse. J’ai commencé à rédiger une encyclopédie. Je me suis arrêtée à la lettre A, après peut-être deux entrées. Mais c’était décidé. »
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