Dimanche 28 juillet, Yazan Al Bawwad a passé moins d’une minute dans la piscine olympique de Paris La Défense Arena. Le temps d’accomplir sa série du 100 m dos et d’être éliminé avec le 43e temps des 46 nageurs engagés. Mais il est resté près d’une demi-heure avec les journalistes, tandis que d’autres nageurs expédiaient ce pensum de relations publiques en deux minutes chrono. Car c’était d’abord pour cela qu’il était là, le sportif : pour parler plus encore que pour nager. Yazan Al Bawwad est Palestinien.
Alors le jeune homme, drapeau palestinien tatoué sur les pectoraux, à hauteur du cœur, a parlé. Il a répété son histoire, sans lassitude, dans son anglais fluide. Il se sentait investi d’une mission, voix posthume des plus de 300 athlètes tués à Gaza sous les bombardements, fruits de la riposte de l’Etat hébreu à l’attaque menée par le mouvement Hamas sur son sol le 7 octobre 2023.
Des membres de sa famille ont également péri dans l’enclave, même si lui n’en est pas originaire. « Je ne veux pas parler d’eux, sinon l’émotion me submerge. » Il est fier d’avoir été désigné porte-étendard de la Palestine, lors de la cérémonie d’ouverture. « Des tas de gens ne veulent pas que nous soyons là, ne veulent pas voir flotter notre drapeau, entendre le nom de mon pays. Mais je suis là, a-t-il revendiqué. Je suis là pour les gens qui meurent de faim, pour les enfants qui se font tuer, et non pour parler de ma nage. » Et, à toutes fins utiles, de préciser, pour ceux qui ne liraient que les rubriques sportives : « Il y a une guerre en ce moment. »
Exercice délicat que de parler d’actualité, de briser de facto la trêve olympique et sa sacro-sainte ou pseudo-neutralité, sous le regard sourcilleux du Comité international olympique, instance qui n’apprécie guère le mélange des genres. Alors, Yazan Al Bawwad l’a fait avec diplomatie, avec cet art de dire sans dire, de décrire une guerre sans ennemi. Jamais il n’a cité Israël. « Je ne parle pas de politique, a-t-il affirmé. Mettre de la politique dans le sport est une grossière erreur. Je suis contre la guerre. Je n’ai de problèmes avec aucun être humain sauf quand celui-là ne me traite pas comme un être humain. »
« Mon histoire ne vous intéressait pas à l’époque »
L’histoire de la famille Al Bawwad est une histoire sans fin d’exil forcé et d’errance planétaire. Sa famille était originaire de Lod, appelée alors Lydda, là où se trouve aujourd’hui l’aéroport Ben Gourion, aux portes de Tel-Aviv. Elle en a été expulsée en 1948 et remplacée par des familles juives. Son père, Rashad, est né en 1964 sous une tente de réfugiés, en Cisjordanie. Faute d’avenir sur place, il s’exile à 20 ans en Italie, à Gênes, dort dans la rue, vend des tomates à la sauvette. Puis s’inscrit à l’université, décroche un diplôme de génie mécanique et obtient la nationalité italienne qu’il transmettra à son fils.
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