Barcelone, qui affronte Naples en 8e de finale de Ligue des champions mercredi, sait déjà qu’il ne sera plus entraîné par Xavi dans six mois. L’ex-milieu de légende laissera un goût doux-amer en Catalogne.
Le pull est noir, morose comme l’est l’atmosphère dans la salle de presse sur la colline de Montjuïc, où le stade olympique, temple des JO de 1992, héberge le FC Barcelone cette saison pour cause de travaux au Camp Nou. Xavi vient d’encaisser la défaite de trop, contre Villarreal le 27 janvier (3-5). Il annonce qu’il n’entraînera plus le Barça, son Barça au terme de la saison. «Les joueurs ne méritent pas cette situation, je pense qu’il faut changer de cap et je suis le premier responsable», déclare-t-il d’un ton sobre. Un aveu d’échec teinté de lucidité, alors que son contrat court jusqu’en juin 2025.
Son départ était impensable en Catalogne six mois plus tôt. Le Barça venait de gagner la Liga pour la première fois depuis 2019, une disette anormalement longue. «Globalement, il y avait de la satisfaction, l’espoir de répéter les succès la saison suivante et d’aller plus loin en Ligue des champions», nous aiguille German Bona, journaliste pour le quotidien catalan Sport. «Remporter la Liga devant le Real Madrid et la Supercoupe d’Espagne dans le contexte de la crise économique et institutionnelle du Barça, cela donne beaucoup plus de valeur», abonde son confrère Angel Pérez du journal Mundo Deportivo, même si «les radicaux du style étaient un peu plus critiques», pas rassasiés par des petites victoires 1-0.
Des victoires et des titres dans un Barça en crise
Xavi est arrivé en novembre 2021 au chevet d’un Barça traumatisé par le départ de Lionel Messi au PSG l’été précédent. «Sa venue a suscité beaucoup d’attentes», reconnaît German Bona. 767 matches, 25 trophées : Xavi, formé au club dont il a été un emblématique capitaine, n’était pas à présenter. Dès sa première conférence de presse, il rappelait ce qu’est l’identité du club. «Un résultat de 1-0 à la 90e minute n’est pas bon ici.» «Il faut bien jouer et gagner.» «Ici, un match nul ou une défaite est un enterrement.» Malgré lui, Xavi suscitait les comparaisons avec Johan Cruyff et Pep Guardiola. Il s’est toujours revendiqué de leur école depuis sa reconversion comme coach en 2019 (à Al-Sadd au Qatar). Comme lui, ils ont été de très grands joueurs avant d’être de brillants entraîneurs au Barça.
Les débuts étaient prometteurs. 9e de Liga en novembre, le Barça a fini dauphin du Real. Du mandat de Xavi, on retiendra ça et les deux trophées qui ont remis le Barça sur la carte. L’ancien milieu a aussi eu le courage de laisser sur le banc ses anciens coéquipiers sur le déclin, Gerard Piqué et Jordi Alba. «J’ai eu le sentiment d’échouer en tant qu’ami, mais je devais donner la priorité à l’équipe», soufflait Xavi en mai 2023. Enfin, il a mis en confiance des jeunes qui sont déjà le présent du Barça, comme les milieux Gavi (19 ans) et Pedri (21 ans), ou qui sont le futur, comme les attaquants Lamine Yamal (16 ans) et Marc Guiu (18 ans).
«Ligne défensive moins solide, blessures et malchance»
Mais alors pourquoi le Barça n’a-t-il pas poursuivi sa trajectoire ascendante, et pourquoi Xavi a-t-il jeté l’éponge aussi vite ? Le premier point est «difficile à expliquer, même pour nous qui suivons la vie quotidienne du Barça», se désole German Bona. De nombreux observateurs pensent que Xavi n’était lui-même pas satisfait du jeu proposé. Ambitieux, fidèle à ses principes, le jeune entraîneur s’est pris les pieds dans le tapis. Le Barça n’a pas mieux attaqué et il a surtout perdu son assise défensive.
Il n’avait encaissé que 20 buts en 38 matches de Liga la saison dernière, contre 34 buts encaissés après seulement 25 journées cette saison. Les blessures ont aussi réduit les options. Gavi a été victime d’une rupture du ligament croisé antérieur du genou droit en novembre. Pedri a loupé 15 matches, Frenkie de Jong 11, Raphinha 11. «Ligne défensive moins solide, les blessures et la malchance», résume Angel Pérez.
L’Europe, «une tache importante»
«Robert Lewandowski a eu des phases où il n’a pas marqué beaucoup de buts», ajoute German Bona, qui voit en la délocalisation du Barça à Montjuïc l’une des clés de la saison décevante. «La pression sur les adversaires n’est pas la même», estime le journaliste. Le Barça marquait 2,52 points par match de Liga à domicile la saison dernière, contre 2,15 depuis son déménagement. C’est d’ailleurs au stade olympique qu’a eu lieu l’un des tournants de sa saison, face au Real Madrid le 28 octobre. Après une première période impeccable (1-0), et alors qu’il avait gagné tous ses matches à domicile (7) jusqu’ici, le Barça a été foudroyé par un doublé de Jude Bellingham. Défaite 1-2. «La déception a été grande et l’équipe a perdu confiance à partir de ce moment», acquiesce German Bona.
Une dégringolade en Espagne qui expose d’autant plus le grand échec de l’ère Xavi : les résultats européens. «C’est une tache importante», souligne German Bona. L’élimination en quarts de finale de Ligue Europa par Francfort, en 2022, était frustrante. La 3e place en phase de groupes de la Ligue des champions la saison dernière, puis la sortie dès les 16es de finale de Ligue Europa par Manchester United dans la foulée, ont été très mal vécues. La campagne de C1 de l’automne dernier, avec la qualification au bout mais une ultime défaite chez le modeste Royal Antwerp (3-2), n’a pas apaisé les esprits.
Notre travail n’est pas assez valorisé. […] On dirait qu’on joue notre vie à chaque instant.
Xavi sur la pression d’entraîner à Barcelone, 4 jours après avoir annoncé son futur départ.
Le Barça n’est pas beau, le Barça ne gagne pas et Xavi ne supporte plus les critiques. Après une victoire sur le fil à Las Palmas le 4 janvier, il lui a été demandé si le titre de champion d’Espagne se serait éloigné en cas de faux pas. «Vous faites toujours des suppositions négatives, s’est agacé Xavi. Je ne vois pas ça avec d’autres entraîneurs. Nous sommes les champions, respect pour les champions en titre.»
Lors de sa première conférence de presse après l’annonce de son départ, il a expliqué son choix. «Notre travail n’est pas assez valorisé», a-t-il répété à maintes reprises. «Cela génère de l’usure, a-t-il poursuivi. J’ai parlé avec Pep (Guardiola) et il me l’avait dit. J’ai vu Luis Enrique souffrir. Nous devons réfléchir. Nous avons un problème avec les exigences de ce poste. On dirait qu’on joue notre vie à chaque instant.» Un conseil pour son successeur ? «Profiter et prendre du plaisir, mais c’est impossible», a-t-il maudit.
La Ligue des champions en baroud d’honneur
Entraîner le Barça, une mission trop difficile pour Xavi. Du moins aujourd’hui. «Xavi est une personne chère au cœur des fans du Barça, les portes lui seront toujours ouvertes», assure German Bona. L’ère Xavi «restera dans les mémoires avec un mauvais goût dans la bouche pour la façon dont elle s’est terminée, mais pas comme une déception», tranche Angel Pérez, pour qui la Liga remportée malgré la crise à tous les étages au Barça «sera plus appréciée avec le temps».
Son héritage auprès des joueurs le sera peut-être aussi. «Xavi m’explique la tactique», louait Gavi. «Oubliez les conneries de la presse, on est tous avec Xavi. C’est une légende, il est top avec nous», jurait João Cancelo en décembre. «Nous venons de gagner la Liga et la Supercoupe. Nous partions de rien. Nous, les joueurs, sommes responsables», défendait Ronald Araujo quelques minutes avant que Xavi n’annonce son départ à la presse.
3e de Liga à huit points du Real Madrid, le Barça ne se fait aucune illusion. Il rendra sa couronne à la fin de la saison. Il ne gagnera pas non plus la Coupe du Roi (éliminé par l’Athletic Club en quarts) ni la Supercoupe d’Espagne (battu par le Real en finale, 4-1). Et, sauf miracle, il ne soulèvera pas la Ligue des champions. Toujours est-il qu’elle peut remettre du baume au cœur, ce mercredi (20h45) face à Naples, encore plus malade, qui a limogé son entraîneur Walter Mazzarri à 48 heures de la rencontre. Xavi, lui, a souhaité rester. «C’est une formule que j’accepte parce que c’est Xavi, avait expliqué le président Joan Laporta sur la chaîne officielle du club. Il est honnête, digne, il aime le Barça et c’est une légende.» Contrairement à certains de ses prédécesseurs, Xavi n’aura pas été prophète en son pays.
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