L’ancien ailier du XV de France (1 sélection), d’Albi ou La Rochelle, qui a vu sa carrière stoppée à 24 ans par une grave blessure au genou, se raconte longuement. Ses galères, ses baisses de moral, ses regrets. Et ses espoirs.
Jamais Gabriel Lacroix n’aurait cru qu’une rencontre de rugby disputée avec La Rochelle le 13 janvier 2018 face à l’Ulster serait la dernière de sa carrière. Sélectionné un an plus tôt pour disputer un test-match avec le XV de France B face aux All Blacks (il inscrit d’ailleurs un doublé ce jour-là), puis une sélection «officielle» deux semaines plus tard face au Japon (avec un nouvel essai en prime), l’ancien ailier a dû arrêter prématurément sa carrière. Après avoir lutté pendant trois ans pour revenir au plus haut niveau, le Toulousain de naissance a finalement annoncé la fin de sa carrière en 2021, à seulement 27 ans. Pour Le Figaro, Gabriel Lacroix est revenu – non sans émotions – sur les moments douloureux de sa vie et sur sa vision de l’avenir.
LE FIGARO. – Gabriel, comment allez-vous aujourd’hui ? Êtes-vous épanoui dans votre nouvelle vie ?
Gabriel Lacroix : Aujourd’hui, ça va un peu mieux. Après ma blessure et la fin prématurée de ma carrière, j’ai eu des années compliquées. Cela n’a pas été facile. Maintenant, j’ai fait un peu le tour, j’ai voyagé, je sais ce que je veux, à savoir m’installer chez moi, dans le Gers. Ce coin me manquait énormément. Après, il y a le projet professionnel à continuer d’affiner. Sinon physiquement, je ne reviendrai jamais comme avant. Mais c’est comme ça. Et mentalement (il soupire), il y a eu des hauts et des bas, ça a été difficile. Quand tu as toujours vécu de ta passion, que tu n’as jamais eu à te poser des questions, que depuis tout petit tu es là-dedans… Le jour où ça bascule et que tu dois te reconvertir sans jamais avoir essayé autre chose, c’est dur.
Quel comportement aviez-vous lorsque vous n’étiez pas bien ?
Je me suis énormément renfermé sur moi-même. J’ai développé une grosse bigorexie (dépendance excessive à l’activité sportive, notamment pour développer sa masse musculaire, NDLR). Cela peut faire sourire mais c’est véritablement compliqué à vivre. Il y a aussi le fait de ne pas trouver ce projet qui m’aurait permis de voir sur le long terme et de rester toujours bloqué sur quelque chose sans jamais vraiment accepter que ce soit fini… Dès que tu as un projet quelconque qui arrive, tu es toujours enthousiaste mais quand tu commences à comparer avec ce que tu faisais avant, tu te rends compte que ton projet est pourri. Et ensuite, tu repars dans un engrenage où c’est la merde. Clairement.
« J’ai appris à vivre avec cette douleur au genou. Elle fait partie de moi maintenant… »
Avez-vous encore des douleurs ? Faites-vous de l’exercice ?
J’ai cette addiction au sport… Je fais aussi ce que me permet de faire mon genou mais je continue à le pousser pas mal donc il y a encore beaucoup de douleurs. J’ai appris à vivre avec. C’est une douleur qui fait partie de moi maintenant. J’ai le droit, je crois, de faire tous les sports. Je n’ai juste plus le droit d’en faire mon métier, d’avoir de contrat de travail vu que j’ai subi une perte de licence suite à l’arrêt de ma carrière. Mais après, cela ne repose que sur moi. Si je veux bousiller mon genou, je continue à fond. Et si je ne veux pas, je freine. Personne ne m’interdit rien, je peux faire un peu ce que je veux.
Reprendre avec un club amateur, l’idée vous plairait ?
Je ne pense pas. À moins qu’avec tous mes amis d’enfance, on se retrouve tous au même endroit et dans le même club… Là, je reprendrais avec plaisir mais sinon, non.
Au moment de votre blessure, pensez-vous que vous étiez au plus fort de votre carrière ?
Non, je ne pense pas. J’étais en train de monter, de m’épanouir encore plus. Au plus fort, je ne l’espère pas, je pense que j’aurais pu performer un petit moment et un peu mieux que ce que je faisais, et pourquoi pas disputer des Tournois. Quand je me suis blessé, je venais de jouer ma première sélection et il y avait un Tournoi qui arrivait derrière. J’aurais pu vivre encore un peu plus de bons moments en club et, pourquoi pas, en équipe de France.
Vous étiez parti vivre loin de la métropole ?
J’étais parti vivre à La Réunion pendant un an et je suis à Toulouse en ce moment. J’ai un appartement ici, j’ai trouvé un emploi que j’arrête dans un mois et après je bascule sur mon nouveau, et dernier j’espère, projet dans le Gers.
Quel est ce nouveau projet ?
Pour l’instant, je suis en recherche. J’ai quelques pistes, je regarde les opportunités, que ce soit dans le rugby ou dans des secteurs qui me plaisent, comme l’agriculture ou le bâtiment. Ça part un peu dans tous les sens mais je préfère prendre le temps pour enfin pouvoir me lancer à 100 % dans un projet sur le long terme.
Vous aviez eu une expérience en tant que pompier de l’air…
Oui, lorsque je suis rentré de la Réunion. Ça a été un bref passage après mon aventure à l’étranger. Je m’étais engagé à l’armée pour être pompier de l’air sur la base de Mont-de-Marsan mais, quand mon ex-compagne est rentrée de La Réunion avec mon fils, elle a trouvé un travail intéressant sur Toulouse et j’avais un pied à terre ici. J’ai donc décidé de quitter l’armée pour m’y installer.
Vous étiez également intéressé par la préparation physique…
Oui, bien sûr. Ça a été ma toute première reconversion au Stade Rochelais. Après, j’avais fait le choix de partir à l’étranger donc j’avais stoppé ça. Mais le milieu du rugby me manque. Pourquoi pas entraîner, donner un coup de main dans un club… Je suis ouvert à tout.
« On a essayé de m’aider. Mais je pense que c’est moi qui me suis renfermé. »
Quand avez-vous pensé à votre reconversion ? Lors de votre blessure ou après l’annonce de votre fin de carrière ?
Une fois que j’ai arrêté ma carrière. Je ne voulais pas y penser avant parce que j’étais concentré sur une potentielle reprise. Le Stade Rochelais m’a proposé une reconversion mais c’était compliqué de rester au club, de rester au milieu des mêmes mecs avec qui je jouais sans pour autant jouer, faire partie de l’équipe sans en faire vraiment partie… La situation était compliquée. Je n’ai pas réussi à la gérer donc j’ai préféré couper et partir à l’autre bout du monde en pensant que cela allait me faire du bien. Au final, pas vraiment. Je pense qu’il fallait et qu’il me faut encore du temps.
Pas réussi à gérer ? C’est-à-dire ? Comment jugez-vous l’environnement autour de vous dans ces moments ?
On a essayé de m’aider. Mais je pense que c’est moi qui me suis renfermé. Après, sur le sujet de la santé mentale, lorsque j’ai arrêté, on en parlait moins que maintenant. Ce n’était pas la folie… Le fait de voir un psychologue, ce n’était pas encore démocratisé. Ça ne l’est toujours pas vraiment actuellement mais ça ne l’était pas du tout à l’époque. Oui, on m’a envoyé voir quelqu’un. Mais cette personne n’était pas un psychologue du sport. Je l’ai vu une fois, je me suis dit ’’hop, ce n’est pas pour moi, j’arrête, je vais me débrouiller tout seul’’. C’est peut-être une erreur de ma part. J’aurais peut-être dû basculer vers un autre spécialiste de la santé mentale et ça m’aurait permis d’avancer et de me faire gagner des années. Je pensais que j’allais gérer la chose, que ça allait passer, que j’allais basculer vers mon nouveau projet professionnel… Mais ça se fait petit à petit, on se rend compte de rien. Tu démarres des projets que tu avortes. J’ai eu énormément de sollicitations, peut-être même trop. J’étais perdu dans tout ça. Je n’ai pas réussi à passer le cap.
Des gens vous ont-ils laissé tomber ? Avez-vous ressenti de l’hypocrisie lors de l’arrêt de votre carrière ?
Oui, on le ressent un peu. Mais moi, c’est quelque chose que j’ai toujours eu en tête. Les personnes que je sentais capables de me laisser tomber si un jour ça n’allait pas, je les ai vite mises de côté. Bien sûr que, dans ce milieu, et pas que celui-là, dès qu’il y a de l’argent, de la médiatisation, on en retrouve partout. Quand tu es au sommet, tout le monde est là, tout le monde te soutient mais quand ça ne marche plus, personne ne veut tomber avec toi. J’étais préparé à ça. A contrario, il y a plein de personnes du milieu du rugby qui ont essayé de m’aider, de m’accompagner mais c’était moi. Avec le recul, je n’arrivais pas à franchir le cap.
« Je me dis, put***, je me plaignais sans arrêt alors que si seulement je pouvais faire marche arrière et continuer à jouer avec la vie que j’avais… »
On sent pas mal de nostalgie dans vos propos… Vous avez des regrets ?
Oui. Ça a été trop court. Je me dis, put***, je me plaignais sans arrêt alors que si seulement je pouvais faire marche arrière et continuer à jouer avec la vie que j’avais… On n’était pas trop mal. Je regrette juste de m’être trop plaint et de ne pas avoir assez profité. Et de ne pas avoir réussi à préparer cette après-carrière qui peut arriver plus vite que ce que l’on pense. Pas avoir profité des installations au club, des aides de Provale (le Syndicat national des joueurs de rugby) ou de la Fédération pour passer des diplômes à côté du rugby. C’est sûrement mon plus gros regret.
Pensez-vous que votre discours peut aider les jeunes joueurs à l’avenir ?
Je ne sais pas, j’espère ! J’avais fait une vidéo avec Provale pour parler de ça. Je n’ai pas de conseils à donner puisque je suis l’exemple même de ce qu’il ne faut pas faire. Si mon histoire peut servir à faire comprendre à certaines personnes qu’il faut profiter et tirer des profits de tout ce qu’on peut pendant qu’on est joueurs parce qu’on a pas mal d’aides au niveau des études… Surtout, rester curieux, ne pas s’enfermer dans le monde du rugby où on ne fait que ça. On n’a pas beaucoup de temps libre mais quand on en a, il faut aller visiter des entreprises, garder contact avec ce milieu extérieur et tenter de préparer la fin.
Vous vous en voulez ?
Oui, je m’en veux de pas y avoir pensé avant. De ne pas avoir profité, de ne pas avoir passé des concours… C’est vrai que quand tu joues, tu te dis ’’punaise, ça fait ch***, je suis crevé avec les entraînements’’ et je le comprends. Moi le premier, je sais que le plus important c’était d’être performant sur le terrain. Il n’y avait que ça qui comptait. Je me disais que je n’avais pas envie de me crever à côté du rugby, déjà que j’étais fatigué quand je jouais, d’aller à l’école sur le peu de temps libre que j’avais… C’est plus facile à dire qu’à faire mais je pense que ce sont des efforts auxquels il faut consentir pour pouvoir être le plus épanoui possible après sa carrière. À 25/40 ans c’est fini, et mine de rien il reste un paquet de chemin à faire.
« Quand j’étais joueur, je n’étais pas un grand fan de rugby. Je ne regardais pas les matches de rugby, j’étais l’un des seuls qui ne connaissait aucun nom des mecs qu’on affrontait, je m’en foutais. »
Si on comprend bien, il me manque plus qu’un vrai projet, bien déterminé ?
Oui, c’est ça. Je suis tellement allé à droite et à gauche… J’ai commencé plein de choses sans jamais les finir et même les commencer. J’avais toujours quelque chose qui me retenait. J’ai vraiment envie d’avancer, d’avoir quelque chose de sérieux, de me lancer à fond et de passer enfin à autre chose.
Attendez-vous que le monde du rugby vous tende la main ?
Je n’attends rien (rires). Si ça vient ça vient ; si ça ne vient pas ça ne vient pas. Je trouverai quelque chose que j’aime bien et dans lequel je vais m’épanouir. Ça a pris beaucoup plus de temps que ce que je pensais. Certaines personnes arrivent à tourner la page plus facilement et il y en a d’autres pour qui c’est plus compliqué.
Le rugby, justement, c’est quelque chose qui vous manque ?
Oui, ça me manque. C’est fou parce que, quand j’étais joueur, je n’étais pas un grand fan de rugby. Je ne regardais pas les matches de rugby, j’étais l’un des seuls qui ne connaissait aucun nom des mecs qu’on affrontait, je m’en foutais. Je voulais juste jouer, avoir des ballons, me faire plaisir et boire des bières avec les copains après. Si vous m’aviez posé la question lorsque j’étais joueur : « est-ce que le rugby va te manquer quand tu vas arrêter ? », j’aurais répondu : « jamais ! » Je m’en foutais du monde du rugby. Sauf que maintenant, je regrette. Je me dis que c’était bien et que ça me manque.
Et maintenant, suivez-vous le rugby ?
Oui ça m’arrive. Je regarde les matches. Je ne suis pas un dingue sur mon canapé mais j’aime bien regarder, plus que quand je jouais. C’est bizarre mais j’aime aller au stade, je suis allé voir le Stade Toulousain, La Rochelle, ça m’a fait du bien. Je m’y mets ! Les gens m’ont reconnu, j’ai gardé des liens avec les supporters de La Rochelle. Ce sont des gens incroyables, bienveillants… C’est sain.
« La Rochelle, c’est le club de mes rêves »
Vous évoquez La Rochelle. Là-bas, vous avez vécu une véritable histoire d’amour…
Complètement. Je leur dois énormément. Le président Merling, Xavier Garbajosa, Patrice Collazo… Ce sont des gens qui m’ont fait confiance. J’étais le petit ailier casqué d’Albi jugé trop frêle pour jouer un jour au haut niveau. Ils m’ont mis à l’aise. J’ai eu de la chance d’arriver au moment où le club prenait un nouveau virage dans son histoire. C’est une ville magnifique avec des supporters géniaux… C’était et c’est le club de mes rêves.
Racontez-nous vos premières sélections…
Mon premier match non officiel c’était contre la Nouvelle-Zélande à Lyon, avec l’équipe de France ‘B’, c’était un match génial avec des super mecs, il y avait une super ambiance… Ça reste un super souvenir. J’ai la chance de marquer deux essais, j’avais des amis et de la famille dans les tribunes, c’était incroyable de porter ce maillot pour la première fois de ma vie même si ça n’a pas compté comme une véritable sélection. Grâce à ce match, ça m’a permis de connaître ma première cape pour le dernier match d’une tournée de novembre contre le Japon. Bon, c’était l’époque où l’équipe de France ne fonctionnait pas aussi bien que maintenant et on a fait un match nul contre le Japon qui était une contre-performance, mais j’ai eu la chance de marquer un essai donc ça reste un bon souvenir. C’était tellement énorme de me retrouver là, être parti du fin fond de mon petit Gers et de me retrouver là… Ça restera des souvenirs incroyables.
Vous devez sans doute avoir une anecdote à nous raconter…
(Il réfléchit) J’avais fait quelques petites bêtises avant ce match, extra-sportives, et comme j’avais fait un bon match, Yannick Bru (ex-entraîneur des avants du XV de France) m’avait félicité après le match et m’avait dit que j’avais effacé ces petites escapades (rires).
Le match face à la Nouvelle-Zélande est-il votre meilleur souvenir ?
Non, pas le meilleur. De toute ma carrière, j’en ai plein. J’en ai avec mon club de Samatan, et ce sont peut-être les meilleurs. J’en ai aussi de gros avec Albi et notamment Henry Broncan (ancien entraîneur du club albigeois de 2011 à 2015)… Ressortir un meilleur moment je ne peux pas. Mes débuts à Samatan avec mes copains d’enfance, à Albi, mes débuts avec le grand club de La Rochelle ou mes sélections… Impossible de choisir !
Vous avez joué à une époque où le XV de France n’avait pas une grande forme. Comment voyez-vous l’équipe actuelle ?
Ils nous ont fait rêver pendant quelque temps quand même ! Je déplore vraiment le retournement de veste de pas mal de personnes qui, maintenant, ont des facilités à leur cracher dessus quand il y a un petit coup de mou. On a vu face au pays de Galles qu’ils étaient capables de faire de très belles choses. Je pense que le groupe et le vivier de jeunes joueurs français sont incroyables. Le travail fait par les éducateurs en amont dans les petits et moyens clubs est remarquable. Aujourd’hui, on est l’une des meilleures nations du monde. Il faut en profiter.
Un pronostic pour la rencontre face à l’Angleterre ?
Je suis très mauvais en pronostic (rires) ! On va gagner, je l’espère. Ça va être serré mais je dirais un petit 23 à 17…
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