Dans le palace parisien où s’orchestre la promotion de Blitz, on nous explique que Steve McQueen ne souhaite parler que de son film – comprendre, pas de questions politiques, s’il vous plaît. Précaution inutile, tant Blitz, qui suit un enfant métis dans le Londres éventré par les bombardements nazis, est tout sauf apolitique. En cela, il s’inscrit dans le droit fil de l’œuvre du Britannique qui, à 55 ans, n’a rien perdu de sa force abrasive, à cheval entre l’art contemporain, la télévision et le cinéma.
En France, hormis quelques avant-premières au cinéma, « Blitz » sort directement sur Apple TV+. Cette configuration vous convient-elle ?
Non. La France a raison de défendre l’expérience collective de la salle. A quoi bon monter sur des montagnes russes, s’il n’y a personne pour hurler : « Ooh ! » et « Aah ! » avec toi ? Sans parler de la qualité de l’image, autrement supérieure en salles… Mais que cela soit clair : je suis heureux qu’Apple finance et diffuse mon film, et je le suis d’autant plus que, aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, il a pu sortir au cinéma, quelques semaines avant d’être mis en ligne.
Depuis quand vouliez-vous filmer la guerre ?
En 2003, je suis parti dix jours en Irak. C’est une étrange tradition britannique, qui remonte à la guerre de Crimée (1853-1856) : un artiste est envoyé sur le front, avec les troupes. La plupart des gens ne perçoivent la guerre qu’à travers le prisme des médias, ça reste très abstrait. Observer de près le « théâtre des opérations », comme on l’appelle, m’a remué. Une camaraderie reliait tous ces soldats venus de Liverpool, de Leeds ou de Birmingham, comme dans une équipe de foot. Parmi eux, j’ai ressenti une forme de nationalisme assez pervers. Je m’étais promis de partager cette expérience. Blitz m’en offre l’occasion.
Quel en a été le point de départ ?
Durant mes recherches pour la minisérie Small Axe (2020), je suis tombé sur la photographie d’un petit garçon noir, avec une valise et une casquette, dans une gare, sur le point d’être évacué. Quelle que fût sa destination, il était manifestement en danger. Ça m’a mis sur la piste du film : qui étaient ses parents ? Quelle était sa vie ? Je me suis rapproché d’historiens, comme Joshua Levine [auteur de The Secret History of Blitz, Simon & Schuster, 2016, non traduit], pour comprendre à quoi ressemblait Londres, à l’époque.
Vous faites des « oubliés » de l’histoire officielle les protagonistes de « Blitz » : les femmes, les enfants, les Noirs, les vieux… Pourquoi ?
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